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En Afrique du Sud, la restauration des fourrés d’Albany est fondée sur la science

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En Afrique du Sud, les fourrés d’Albany sont des écosystèmes uniques au monde, qui représentent l’un des plus grands réservoirs de diversité floristique du pays et fonctionnent en synergie avec la riche faune qu’ils abritent. Souvent caractérisés par la dominance d’une essence d’arbre endémique, Portulacaria afra, connue sous le nom local de spekboom et dotée de caractéristiques physiologiques hors du commun, ces écosystèmes ont été sévèrement dégradés par l’élevage intensif de bétail au cours du siècle passé. Alors que les conséquences de cette dégradation sont particulièrement lourdes pour l’environnement et les communautés locales, des scientifiques œuvrent à la mise en œuvre de la plus grande expérience de restauration d'écosystèmes au monde. Depuis 2020, Reforest’Action contribue directement à ces actions, qui visent à rétablir 1,2 million d’hectares de fourrés subtropicaux dans la province du Cap-Oriental d’Afrique du Sud.

Les fourrés d’Albany, un biome unique au monde

Un biome à part au sein d’un pays riche en contrastes

L’Afrique du Sud est un territoire aux paysages contrastés, qui juxtapose, sur l’ensemble de sa superficie, une grande variété de biomes – déserts et prairies, savanes et forêts. Ce n’est qu’en 1996 que les fourrés d’Albany ont été classifiés au sein d’un biome bien distinct. Constitués d’une strate unique et dense d’arbustes et d’arbres bas, festonnée de plantes grimpantes et succulentes, ils se répartissent principalement dans la province du Cap-Oriental de l’Afrique du Sud, dans les bassins versants des rivières Fish, Sundays et Gamtoos, et le long du littoral de Port Elizabeth à East London.

Puisant leurs origines dans l’Éocène (56-33,9 millions d'années avant notre ère), ils sont issus d’anciennes forêts pluviales qui se sont adaptées à un environnement semi-désertique au fil de la dérive des continents et de l’aridification de la région. Ils abritent ainsi de nombreuses lignées de plantes préhistoriques et des essences tropicales dont les aires de répartition s’étendent aujourd’hui jusqu’à l’Afrique de l’Ouest, ce qui en fait l’un des plus grands réservoirs de diversité végétale du pays. Arbres à feuilles persistantes ou caduques, plantes succulentes, plantes rampantes, arbustes, lianes, bulbes et graminées… Plus de 1560 essences végétales, dont 20% sont endémiques, ont été recensées au sein des fourrés d’Albany, qui constituent également l’habitat naturel d’une riche faune aviaire, entomique et reptilienne, ainsi que de grands mammifères autochtones tels que l’éléphant, le rhinocéros noir, le léopard et le koudou.

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Les fourrés d’Albany constituent l’un des 9 biomes d’Afrique du Sud

Le spekboom, ingénieur des fourrés arides d’Albany

Une caractéristique rend exceptionnels les sous-types arides des fourrés d'Albany : ce sont les seuls écosystèmes de fourrés au monde à être majoritairement dominés par une espèce succulente, Portulacaria afra, qui peut représenter jusqu’à 80% de leur végétation. Cet arbre endémique d’Afrique australe, dont le nom afrikaans, spekboom, signifie « arbre gras » du fait de son aspect charnu et appétissant, peut croître jusqu’à six mètres de haut et vivre jusqu’à deux cents ans. Son caractère pionnier, sa résilience et sa capacité à assurer la stabilité des écosystèmes et de leur biodiversité en font une essence particulièrement remarquable, qui vaut aux fourrés arides d’Albany d’être qualifiés couramment de fourrés de spekboom.

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Le spekboom domine à 80% la végétation des fourrés arides d’Albany

Doué d’une adaptation physiologique hors du commun, il s’adapte par réflexe à son environnement en modifiant son schéma de photosynthèse lorsque la disponibilité de l’eau diminue, ce qui lui permet de tirer profit des périodes humides en se développant rapidement, puis de survivre à de longues périodes de sécheresse dans un environnement semi-aride où les précipitations sont irrégulières. Doté de tiges et de feuilles composées de 70 à 90% d’eau, le spekboom améliore également l'infiltration et la teneur en eau des sols grâce à son système racinaire, ce qui crée, à l’échelle locale, un microclimat essentiel à la germination et à l’établissement de nombreuses autres espèces végétales au sein de l’écosystème, et favorable au maintien d'une biomasse végétale élevée.

L’extrême densité végétale générée par le spekboom est également un avantage pour le stockage du carbone dans les sols. En maintenant le sol plus frais, à l'abri de la lumière directe du soleil, le spekboom permet à la litière (couche superficielle du sol constituée de débris végétaux) de se décomposer plus lentement et évite le rejet de CO2 dans l'atmosphère. Le carbone organique reste ainsi conservé plus longtemps dans les couches supérieures des sols. Cette richesse en carbone est bénéfique à l’ensemble de l’écosystème puisque plus les sols sont riches en carbone, meilleure est leur capacité de rétention en eau. Ainsi, lorsque surviennent de fortes précipitations, les sols situés sous la canopée du spekboom agissent comme de véritables éponges et retiennent autant l’eau que les nutriments, pour les libérer ensuite lentement lors des périodes de sécheresse auprès de l’ensemble de la flore des fourrés.

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Les fourrés de spekboom se caractérisent par l’extrême densité de leur végétation

Grâce à leur biomasse importante, les fourrés dominés par le spekboom sont également capables de soutenir des densités exceptionnelles de méga-herbivores, tels que les éléphants et les rhinocéros noirs. Véritable ingénieur des écosystèmes arides des fourrés d’Albany, le spekboom soutient ainsi tout un cortège d’espèces végétales et animales qui en dépendent pour se développer. A l’inverse, sa disparition entraînerait l’effondrement de l’écosystème tout entier.

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Les éléphants entretiennent une relation symbiotique avec les fourrés de spekboom

L’industrie de l’élevage à l’origine du recul des fourrés d’Albany

Des écosystèmes dégradés à 80% par le surpâturage

A la fin du 19e siècle, les fourrés d’Albany couvraient, au sein des provinces du Cap-Occidental et du Cap-Oriental de l’Afrique du Sud, 1,5 million d’hectares de leur végétation dense et impénétrable. Aujourd’hui, il ne demeure plus qu’environ 300 000 hectares de fourrés intacts, situés pour la plupart au sein de réserves naturelles protégées. C’est ainsi 1,2 million d’hectares, soit 80% de la superficie totale des fourrés d’Albany, qui ont disparu ou ont été fortement dégradés en un peu plus d’un siècle. En cause, l’industrialisation du mohair, une fibre laineuse issue de la chèvre Angora, dont l’élevage a connu un essor en Afrique du Sud – le pays produit aujourd’hui 54% du mohair vendu dans le monde, ce qui en fait le premier producteur mondial. En raison de la croissance rapide de sa laine, la chèvre Angora a en effet des besoins alimentaires élevés qui résultent en la désertification des parcelles de fourrés sur lesquelles elle est élevée. La hausse de la demande mondiale en mohair a en outre conduit les fermiers à pratiquer un élevage intensif où le nombre d’herbivores au sein des parcelles est bien supérieur à la capacité de charge de l’écosystème, c’est-à-dire au nombre maximum d'animaux qu'un territoire donné peut tolérer sans que la ressource végétale ou le sol ne subissent de dégradation irrémédiable.

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Le surpâturage des chèvres a dégradé 80% des fourrés d’Albany depuis le XIXe siècle

De lourdes conséquences environnementales et sociales

Aujourd’hui, la sévère dégradation des fourrés d’Albany se poursuit et conduit à la perte de l’ensemble des services écosystémiques qu’ils prodiguaient. Avec la raréfaction du couvert végétal, les sols s’appauvrissent, s’érodent, se réchauffent et ne conservent plus le carbone de leurs strates supérieures. A l’échelle locale, la disparition du microclimat créé par le spekboom accentue des épisodes de sécheresse de plus en plus fréquents dans le contexte du changement climatique. Sans sa contribution à l’infiltration de l’eau dans les sols et les aquifères, les sources et les cours d’eau se tarissent. L’ensemble de ces conséquences environnementales aboutissent à l’érosion de l’extraordinaire biodiversité animale et végétale des fourrés. C’est ainsi tout un écosystème qui s’effondre et se transforme en semi-désert. A travers le Cap Oriental, le contraste visuel est frappant : des lignes tracées par d’anciennes clôtures séparent aujourd’hui, dans le paysage, des pâturages abandonnés à l’état désertique d’un côté, et les dernières reliques de fourrés intacts de l’autre.

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Au sommet des collines, la ligne de contraste est visible entre les terres dégradées et les fourrés intacts

Sur le plan socio-économique, les terres trop dégradées ne permettent plus aux fermiers de pratiquer une activité d’élevage rentable et durable. La disponibilité en ressources naturelles issues des fourrés, telles que le bois de chauffage, les fruits sauvages et les plantes comestibles et médicinales, diminuent pour les communautés rurales, impactant directement leurs revenus et leurs moyens de subsistance.

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Avec la disparition des fourrés, le paysage se transforme en semi-désert

Restaurer les fourrés d’Albany : la science au cœur de la démarche

L’ambition de restaurer 1,2 million d’hectares de fourrés dégradés

Face à ces lourdes conséquences environnementales et sociales, des actions voient le jour pour restaurer les fourrés d’Albany et reconstituer leur précieux capital naturel. Depuis 2020, Reforest’Action contribue directement à ces actions de restauration grâce à la vision du Dr. Anthony Mills, un scientifique spécialisé dans l’écologie et la science des sols, qui conduit depuis vingt ans des travaux de recherche sur les fourrés d’Albany. Anthony Mills est également le fondateur de C4 EcoSolutions et d’AfriCarbon, une entreprise sud-africaine dont la mission est de restaurer l’ensemble des fourrés dégradés au sein des provinces du Cap-Oriental et du Cap-Occidental – soit 1,2 million d’hectares.

« Comment parvenir à une telle échelle, en termes de restauration, de la manière la plus systématique, la plus efficace et la plus rapide possible ? » s’interroge Anthony Mills. « A mon sens, la science doit être le fondement et le moteur du processus, il s’agit du carburant nécessaire pour porter la restauration des écosystèmes à l’échelle de centaines de milliers d’hectares. D’une part, pour documenter l’ensemble des bénéfices qui seront générés par la restauration des fourrés d’Albany – conservation de la biodiversité, retour du carbone dans les écosystèmes, amélioration de la capacité de charge des paysages et donc de la productivité des terres, augmentation de la quantité d’eau s’écoulant dans les aquifères… D’autre part, pour comprendre la meilleure façon de mettre en œuvre cette restauration. »

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AfriCarbon vise à restaurer 1,2 million de fourrés dégradés dans les provinces du Cap-Oriental et du Cap-Occidental en Afrique du Sud

Un laboratoire pour faire avancer la science de la restauration

Soutenus par le secteur public et privé, étayés par des tentatives de restauration conduites par des fermiers sur leurs propres parcelles, les travaux d’Anthony Mills et de la communauté de scientifiques qui s’est intéressée aux fourrés subtropicaux au cours des vingt dernières années ont abouti à un mécanisme concret et efficace de restauration pour reconstituer les fourrés là où ils ont disparu ou ont été fortement dégradés.

Au cœur de celui-ci, le spekboom, cette essence ingénieure apte à initier la régénération de la grande diversité végétale de son biome. Parce que les sols des zones de fourrés dégradés peuvent atteindre une température extrême – jusqu’à 70°C, le spekboom est la seule essence capable de résister à une telle chaleur sans irrigation. Une fois planté, il est capable d’abaisser la température des sols jusqu’à ce que celle-ci atteigne 30°C. Dès lors, dans ces sols plus frais et plus humides, les espèces végétales propres aux fourrés subtropicaux – plantes, arbres, arbustes, succulentes, lianes… peuvent à nouveau s’établir grâce à la zoochorie (dispersion des graines par les animaux, notamment les oiseaux). En outre, les remarquables capacités du spekboom à fixer rapidement le CO2, tant dans les sols que dans sa biomasse aérienne, font de cet arbre un atout pour atténuer le changement climatique à l’échelle globale. Mais le chantier est colossal : pour restaurer 1,2 million d’hectares de fourrés dégradés, AfriCarbon estime que 5 milliards d’arbres seront nécessaires.

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Des millions de plants de spekboom dans la pépinière d’AfriCarbon près de Kirkwood

Riche de vingt ans de recherches et d’expérimentations conduites dans une démarche d’amélioration continue, Anthony Mills a su établir et ajuster, aux côtés de toute l’équipe scientifique d’AfriCarbon, des protocoles de restauration qui optimisent aujourd’hui le retour rapide du spekboom au sein d’un écosystème, et, ainsi, de tout son cortège de biodiversité. Ce véritable laboratoire à ciel ouvert poursuivra ainsi, pour les années à venir, la plus grande expérience de restauration d'écosystèmes au monde.

La disparition totale des fourrés d’Albany et de leurs précieux services écosystémiques n’est pas une fatalité. Outre la conservation des reliques intactes de fourrés, la restauration des zones qui ont été sévèrement dégradées est aujourd’hui une priorité. Vingt ans de recherches scientifiques ont prouvé que le spekboom avait un rôle central à jouer dans cette restauration par sa capacité à agir sur la santé des sols et le cycle de l’eau, et à instaurer le microclimat nécessaire à la résurgence d’une riche biodiversité végétale et animale. En s’engageant à long terme avec AfriCarbon, notamment au travers du financement du projet carbone de Kuzuko, certifié VCS par Verra, Reforest’Action s’associe à l’ambition de restaurer durablement ces écosystèmes uniques au monde et le vaste panel de leurs bénéfices environnementaux et socio-économiques.

SOURCES

  • Le projet Kuzuko a notamment été financé par Capgemini, l’un des leaders mondiaux de la transformation et de la gestion des activités des entreprises via la technologie. Capgemini s’est engagé à décarboner ses activités à hauteur de 90 % d’ici 2040 et investit par ailleurs dans des crédits carbone de haute qualité pour réduire et éliminer le carbone au-delà de sa propre chaîne de valeur.
  • Les informations scientifiques et les données chiffrées concernant les caractéristiques physiologiques du Spekboom sont issues d’interviews conduites par Reforest’Action auprès de Anthony Mills, Docteur en sciences des sols et Fondateur d’AfriCarbon, et Robbert Duker, Docteur en physiologie environnementale des plantes et Chef des opérations d’AfriCarbon, ou de leurs travaux scientifiques publiés et évalués par leurs pairs.
  • Toutes photographies qui illustrent cet article ont été réalisées par Reforest’Action.