Dans les provinces de Lamas, El Dorado et San Martín au Pérou, Reforest'Action travaille en partenariat avec le CIGDES pour soutenir les agriculteurs locaux dans la mise en place de systèmes agroforestiers sur d’anciennes prairies abandonnées. La deuxième année du projet, qui s’échelonne sur trois ans, s’est terminée en 2023. Une année de travaux intenses qui a permis la plantation de 600 000 arbres d’essences natives diversifiées, au plus grand bénéfice des producteurs qui reprennent petit à petit possession de leurs terres, à nouveau fertiles, y plantant fruits et légumes en agroforesterie. Face à la sécheresse croissante et à la présence de fourmis ravageuses, notre partenaire a cependant dû redoubler d’efforts pour assurer la survie des arbres. En parallèle de la récolte future de ressources arboricoles, des activités économiques alternatives, telles que l’apiculture communautaire, s’organisent sur le terrain, visant l’augmentation des moyens de subsistance des communautés.
Le projet soutenu par Reforest’Action et mené sur le terrain par le Centre d'innovation et de gestion pour le développement durable (CIGDES) est implanté dans trois provinces de la région de San Martín, à l’entrée de l’Amazonie péruvienne : Lamas, El Dorado et San Martín. Démarré à l’été 2021, le projet œuvre depuis plus de deux ans à la restauration de vastes pâturages dégradés. Via la création de systèmes agroforestiers diversifiés, l’objectif est de soutenir et d’accompagner les propriétaires terriens dans la réhabilitation de leurs terres en friche. Au cours des dernières décennies, les communautés locales, pour lesquelles l’agriculture représente un important moyen de subsistance, ont déboisé la forêt amazonienne pour y installer des cultures et y faire paître du bétail. Soumises à des pratiques agricoles traditionnelles, les terres ont petit à petit perdu leur fertilité d’antan, jusqu’à être abandonnées par les familles de producteurs et d’éleveurs. Envahies par une végétation spontanée, ces anciennes prairies sont aujourd’hui recouvertes par plusieurs espèces de fougères invasives, et sont particulièrement sujettes aux incendies durant l’été. Deux phénomènes qui empêchent la régénération naturelle de la forêt. Le projet vise donc la restauration de ces terres abandonnées au travers de la plantation de six à huit essences d’arbres (en fonction des saisons) qui permettront à la fois de favoriser la régénération future de la forêt native et de créer des systèmes agroforestiers productifs et durables au profit des populations locales.
Lors d’un audit réalisé en août 2023, Juliet, Project Officer au Pérou pour Reforest’Action, a pu constater les premiers impacts positifs du projet. Les bénéficiaires de l’ethnie Kichwa, concernés par la première saison de plantation, sont aujourd’hui convaincus de la nécessité des activités de restauration : leurs parcelles sont débarrassées des fougères envahissantes, les arbres plantés il y a deux ans ont bien grandi et le retour de la biodiversité est déjà visible (oiseaux, abeilles, insectes et macrofaune). Leur engouement a permis d’attirer d’autres producteurs désireux d’accompagner la régénération de leurs terres, si bien que notre partenaire n’a plus besoin de faire la promotion du projet parmi les communautés, déjà motivées par les nombreux bénéfices économiques et environnementaux qu’elles peuvent constater chez leurs voisins.
La deuxième saison de restauration : impliquer les familles de producteurs locaux dans les activités sylvicoles
Les travaux menés de concert avec les communautés
Au cours de la saison 2022-2023 du projet, 600 000 arbres ont été plantés - dont l'hévéa du Brésil, le noyer maya, le mocambo ou encore des pois doux - sur plus de 300 hectares de zones dégradées. Les bénéficiaires, issus de 144 familles d’agriculteurs nouvellement inscrites au projet, ont été impliqués dans la réalisation des travaux forestiers et ont pu participer à l’une des 36 sessions de formation portant sur les techniques de plantation, l'entretien des parcelles, la gestion des parasites, etc.
Au-delà de la plantation, le processus de restauration écologique comprend un ensemble de tâches sylvicoles variées, complexes et physiques. La première étape, l’une des plus importantes, consiste à préparer le sol à recevoir les arbres. Il s’agit de retirer l’ensemble des fougères invasives afin de réduire au maximum l’incidence de cette barrière écologique et de garantir la croissance et la productivité de la future forêt. Ce travail est réalisé par chaque producteur sur ses propres parcelles, accompagné par deux personnes de l’équipe technique du CIGDES. Dans la région de San Martín, l'organisation paysanne traditionnelle s'exprime de différentes manières, et notamment au travers de l’existence de journées d'entraide, connues sous le nom de “choba-choba” en langue Kichwa, et organisées par le comité communal. Ces moments de solidarité visent tout particulièrement le renforcement de l’harmonie entre les hommes et les cycles naturels. Toute la famille participe à ces événements, où chacun contribue selon ses capacités et ses compétences. Les “choba-choba” de la saison passée ont permis aux propriétaires de bénéficier d’une aide collective pour terminer la préparation de leurs terres. Quelques jours après la fin du désherbage, une essence d’arbres, dont l’utilité première est la préparation du sol, est plantée : le pois d’Angole, ou Cajanus Cajan, de la famille des fabacées. L'objectif de planter cette essence avant les autres est de fournir de l'ombre à la parcelle, de limiter la croissance des fougères et autres herbes et d’enrichir le sol en biomasse végétale afin de créer un microclimat propice à la croissance des jeunes plants.
La deuxième étape est l’installation du système agroforestier multi-étagé sur les parcelles des producteurs. Il s’agit de marquer la distribution spatiale des unités végétales afin de savoir où planter les arbres fruitiers et les légumineuses arborées, en vue de créer le design préétabli. Cette activité est menée par l'équipe d'installation du CIGDES, avec la participation des familles, qui sont par la même occasion formées aux activités de conception, parfois très techniques : prise de mesures, utilisation d’une courbe de niveau, alignement, orientation, piquetage, etc. Une fois le terrain prêt, les semis sont transportés depuis la pépinière la plus proche jusqu’aux terres à reboiser, et les travaux de plantation peuvent alors débuter. Une amélioration notable dans l’organisation de cette deuxième saison est l’installation de 57 “pépinières volantes” sur les terres des bénéficiaires, à l’aide de matériaux localement sourcés. La décentralisation de la production des semis permet d'assurer l’acheminement des plants dans les délais impartis, avec moins de contraintes physiques. L’emplacement des “pépinières volantes” a été décidé par l’ensemble de la communauté, qui se porte garante de leur entretien et acquiert en outre des connaissances précieuses sur la production d'arbres d’essences natives d’Amazonie.
Production des plants dans une pépinière volante, chez un agriculteurEnfin, l’entretien des arbres plantés est un travail continu qui démarre dès le dernier jour de plantation. Le CIGDES dispose d'une équipe de professionnels dédiée au contrôle de la survie des plants et du bon déroulé du processus de restauration. Ils ont pour mission d'accompagner les producteurs dans les travaux de monitoring et de les y former au travers d’ateliers réguliers : gestion de l'ombrage, apport d’engrais verts, taille, fertilisation, lutte contre les ravageurs et les maladies, etc. Le CIGDES bénéficie également d’un logiciel de cartographie numérique leur permettant d’assurer le suivi et la traçabilité des arbres dans la durée, en collaboration avec Reforest’Action.
La recherche de solutions aux aléas climatiques et biotiques
Le taux de survie des arbres plantés lors de la deuxième saison du projet est de 92%. Cependant, ce pourcentage élevé reflète le travail de suivi continu de notre partenaire, qui replante systématiquement les spécimens qui ne survivent pas. Si toutes les parcelles sont actuellement en bon état phytosanitaire, plusieurs challenges ont été expérimentés cette année, rendant la restauration de la forêt amazonienne plus difficile.
L’été est de plus en plus chaud dans la région de San Martín et la sécheresse qui sévit est un véritable défi. Les bénéficiaires témoignent de leur difficulté à maintenir les arbres en vie dans ce contexte de dérèglement climatique. Plusieurs mesures ont été mises en place pour pallier la rareté des précipitations, dont l’ajout d'hydrogel à la terre lors de la plantation des arbres, afin d’assurer une meilleure rétention de l’eau. Aussi, la production de semis supplémentaires dans la pépinière centrale du CIGDES a permis de surmonter efficacement la mortalité due à la sécheresse. Un autre aléa, biotique cette fois, est la présence de fourmis ravageuses sur la zone de restauration. Pour contrer ce fléau, la participation de certains producteurs bénéficiaires, qui ont appliqué des anti-fourmis biologiques, a été clé. En parallèle, le CIGDES et Reforest’Action ont pris la décision de collaborer avec des institutions forestières nationales et internationales, telles que le L'Institut national de recherche et de technologie agricoles et alimentaires d’Espagne (INIA) et le Centre pour la recherche forestière internationale (CIFOR). Ces partenariats permettront de rassembler des connaissances scientifiques et de trouver des solutions naturelles efficaces contre les dégâts causés par les insectes.
Dégâts causés par les fourmis sur un jeune plantLes impacts socio-économiques : promouvoir la sécurité alimentaire et la génération de revenus alternatifs
Les fruits et légumes cultivés en agroforesterie
En plus des impacts environnementaux, le projet inclut un volet social important. Les bénéfices socio-économiques attendus comprennent notamment l’amélioration de la sécurité alimentaire des familles de producteurs. Les systèmes agroforestiers créés dans le cadre du projet se composent de différentes essences productives, dont des essences fruitières, des haricots et des pois. Ces denrées alimentaires pourront être récoltées par les propriétaires et utilisées pour leur consommation personnelle ou vendues. Un autre bénéfice de la restauration des terres via l’intégration d’arbres est de rendre le sol à nouveau cultivable et fertile. Certaines familles d’agriculteurs ont déjà commencé à cultiver des fruits et légumes (bananes, haricots, manioc), à la base de leur alimentation, dans l’ombrage des arbres plantés en 2021.
La création de chaînes de valeur alternatives
Sur le long terme, certains produits issus des arbres auront pour vocation de raviver une économie locale et durable. En effet, les essences plantées en agroforesterie permettront de fournir des matières premières à grande valeur économique, comme le latex obtenu à partir de l’écorce de l’hévéa, les graines du noyer maya, ou encore les cabosses du mocambo qui renferment des fèves blanches au goût d’amande. Une autre activité, sur le point d’être initiée par notre partenaire, est l’apiculture : plusieurs essences d’arbres peuvent en effet déjà produire des fleurs, tandis que le miel produit pourra être facilement vendu sur les marchés locaux. Des sessions de sensibilisation à l’utilisation de produits sanitaires naturels seront organisées auprès des producteurs pour assurer la survie des abeilles. S’il est encore trop tôt pour en voir les effets, la création de ces chaînes de valeur alternatives aura de nombreux impacts positifs, dont la création d’emplois à l’échelle locale.
La formation des communautés
Les communautés étant au cœur de la mise en œuvre du projet et de sa réussite, leur autonomisation représente un axe majeur. Tout au long de l’année, des ateliers opérationnels ont été organisés par notre partenaire, dans le but de former les participants, mais aussi de recueillir leurs attentes et leur retour d’expérience. Depuis le début des activités, les communautés ont été regroupées en 20 comités communautaires de cogestion dans les trois provinces où le projet est mis en œuvre. Cette structure permet d’assurer la mise en œuvre pratique des opérations, d’organiser des assemblées régulières ainsi que les journées de “choba-choba” et de suivre le monitoring des plantations. Cette approche participative favorise également la consolidation et la pérennisation de la restauration écologique.