La Terre-Mère péruvienne porte le deuil de sa fertilité
Situé au nord-est du Pérou, au cœur de l’Amazonie péruvienne, le département de San Martín est une des vingt-quatre divisions du pays. Recouvrant plus de cinq millions d’hectares, ses terres jadis fertiles ont été converties en cultures et pâturages, au détriment de la forêt primaire qui y prenait racine. L’agriculture parcellaire au Pérou représente la première cause de déforestation. Cette dernière est pratiquée à la fois par de petits exploitants familiaux, dont la survie dépend de leur production, et par des agro-industriels nationaux et internationaux exerçant une pression sur leurs homologues locaux.
Au sein d’une des régions les plus déboisées du pays, les producteurs locaux ont tour à tour délaissé leurs parcelles dont le sol surexploité avait perdu sa fertilité. Les terres agricoles ainsi abandonnées sont aujourd’hui largement recouvertes par une espèce de fougère invasive, la Pteridium aquilinum. Ces espaces dégradés sont, d’autre part, particulièrement sujets aux incendies, événements très courants en Amazonie pendant l'été. Tel un cercle vicieux, ces phénomènes aggravent la dégradation des sols déjà affaiblis, et diminuent la ressource en eau.
Entre déforestation et aléas naturels, la Pachamama, Terre-Mère des peuples incas, s’est vue privée de son pouvoir d’abondance, pourtant source de vie pour les communautés indigènes. Malmenée depuis de nombreuses années, la « déesse-Terre » exhorte à de nouvelles pratiques pour se régénérer.
En réponse à cet appel, le gouvernement péruvien met en place dès 2015 un cadre institutionnel visant à lutter contre la déforestation, à conserver la forêt tropicale via la création de zones naturelles protégées et à adapter les forêts du pays au changement climatique. Le Serfor - Servicio Nacional Forestal y de Fauna Silvestre - est ainsi créé, dont la mission est de promouvoir la durabilité et la compétitivité du secteur forestier au profit de la population et de l’environnement.
Même si la situation s’améliore grâce à ces dispositifs, la stratégie nationale reste trop fragile devant les besoins et les intérêts économiques en jeu. En renfort du cadre d’action gouvernemental, le projet mené par Reforest’Action dans la région de San Martín participe à la restauration des écosystèmes forestiers et à la diversification des revenus des parties-prenantes locales.
L’agroforesterie : une double solution
Le projet développé par Reforest’Action en partenariat avec le Centre d’Innovation et de Gestion pour le Développement Durable (CIGDES) est mené de front dans trois provinces : Lamas, San Martín et El Dorado. Démarré pendant l’été 2021, il s’échelonnera sur trois ans. Les travaux consistent à installer des systèmes agroforestiers au sein des zones abandonnées, aux côtés des producteurs et des communautés autochtones. Le développement de l’agroforesterie aura pour effet de restaurer les anciennes parcelles forestières, et notamment l’état des sols, tout en générant des bénéfices socio-économiques supplémentaires.
En septembre dernier, soit plus d’un an après le début des plantations, un audit du projet a été conduit sur le terrain par notre Project Officer au Pérou, Juliet. Au total, 600 253 arbres de six essences différentes ont été plantés au cours de la première année du projet : des essences productives (hévéa, majambo et noyer maya) associées à des légumineuses arborées qui produisent des gousses remplies de pois. Les arbres affichent une croissance lente due à la mauvaise qualité des sols et aux longues périodes de sécheresse. Cependant, le taux de survie des plants, égal à 96%, est excellent et témoigne de la compatibilité des espèces aux conditions pédoclimatiques de la région.
À cette installation multi-étagée se sont ajoutées des cultures de maïs, de bananes, d’ananas et de papayes mises en place par les villageois, qui bénéficieront de la présence des essences financées par le projet pour se développer. Ainsi, le sol se rétablit petit à petit, rendant à ces zones abandonnées leur productivité d’antan et offrant aux populations de solides perspectives de récoltes et de revenus.
Une partie des arbres plantés en 2022 a été financée par l’institut Open Diplomacy, qui aide les citoyens à comprendre et à participer à la vie internationale.
Des produits qui valent de l’or pour le peuple Kichwa
Les Kichwas - ou Quechuas selon les régions - forment une ethnie ancestrale des Andes présente au Pérou, en Équateur et en Colombie. La région de San Martín, où se situent les plantations agroforestières, est très imprégnée de leur culture. Pluricentenaire, ce peuple a traversé les siècles malgré des conditions de vie difficiles, au cœur d’une nature aussi sévère que nourricière. Au-delà de la langue du même nom qu’elles partagent, les communautés natives Kichwa ont conservé des coutumes traditionnelles sans égales : gastronomie, peinture, tissage, danses, ou encore mythes et légendes composent un folklore d’une richesse inestimable. Descendants directs de la civilisation inca, leur société repose essentiellement sur l’agriculture et l’élevage. C’est pourquoi les arbres plantés en agroforesterie dans le cadre du projet participeront tout droit au développement économique de ce peuple d’Amazonie.
À Lamas (et dans les deux autres provinces), les propriétaires terrestres et les producteurs, impliqués dans toutes les étapes du projet, sont issus des communautés Chunchiwi et Chirikyaku, membres de l’ethnie Kichwa. Accompagnés par l’équipe terrain du CIGDES tout au long de l’année passée, ils ont activement participé au désherbage des terrains, à l’installation des pépinières ainsi qu’à la plantation des arbres sur leurs parcelles. Leur implication est d’autant plus pertinente que leur sécurité alimentaire en dépend. En effet, les essences plantées fourniront des matières premières à grande valeur économique, en plus de créer des emplois à l’échelle locale.
Le latex ou caoutchouc
C’est dans la forêt amazonienne que se développe en premier l’activité d’extraction du caoutchouc, à partir d’une incision dans l’écorce de l’hévéa, ou « arbre de la fortune ». Grâce à l’agroforesterie, il s’agira de ranimer une économie locale et durable du caoutchouc, loin des dégâts qu’elle a pu causer dans le passé.
Le noyer maya
Les graines de cet arbre présentent un grand potentiel de commercialisation par les communautés. Les valeurs nutritionnelles des fruits du noyer maya sont impressionnantes : leur haute teneur en protéines, en fer et en calcium en fait un complément nutritionnel précieux.
Le majambo
Cousine de la traditionnelle fève de cacao, la cabosse du majambo est plus grosse et renferme des fèves blanches au goût d’amande. Certaines entreprises les utilisent pour en faire du chocolat, d’autres les préfèrent en farine.
Notre partenaire local, le CIGDES, assurera le lien entre les producteurs Kichwas et le marché de revente, en relation avec un ensemble de coopératives et d’industries locales. Ainsi, l’introduction des agroécosystèmes permettra aux bénéficiaires de générer des revenus supplémentaires.
Prendre soin de la Pachamama
L’expression Pachamama signifie "Terre-Mère" dans la cosmogonie andine de l’ancien empire inca. Pacha signifiant « terre », et Mama, « mère ». Considérée comme une déesse vivante, véritable personnification de la terre fertile à l’origine de toutes les ressources vitales, les Kichwas la respectent et la vénèrent. La tradition de leurs ancêtres, toujours honorée aujourd’hui, veut que l’on rende hommage à la Pachamama au travers d’offrandes, en enterrant des denrées dans le sol, dans la terre. Pour cette société altruiste, qui vivait en parfaite harmonie avec son environnement, l’Homme et la nature ne doivent faire qu’un.
C’est dans ce contexte de respect de l’équilibre socio-environnemental que les bénéficiaires du projet, interrogés par notre Project Officer, ont à 100%* affirmé qu'ils comprenaient son utilité. En outre, pendant les derniers mois, 216 familles ont été formées à l’étude du sol, à l’agroforesterie et au contrôle de la bonne santé des arbres plantés. Parce que l’entraide communautaire est le pilier central de la philosophie Pachamama, 15 organisations rurales ont été créées, une dans chaque village participant, pour assurer le bon déroulement des plantations et leur suivi sur le long terme.
*Enquête effectuée par Juliet au Pérou auprès d’un échantillon de 28 bénéficiaires.