Reforest’Action / « Parler de contribution carbone permet de valoriser les actions positives pour le climat » : cinq questions à Katia Prassoloff
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« Parler de contribution carbone permet de valoriser les actions positives pour le climat » : cinq questions à Katia Prassoloff

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Le système de contribution volontaire, communément appelé « compensation carbone », est un levier essentiel à l’atteinte des objectifs de neutralité carbone globale à horizon 2050. Ce mécanisme, auquel de nombreuses entreprises ont recours, a pourtant fortement été remis en question ces dernières années. Trop souvent associé à du greenwashing, il a tendance à perdre sa crédibilité aux yeux du public. Plusieurs raisons se cachent derrière cette impopularité, dont notamment l’utilisation de la contribution carbone au détriment d’efforts continus et significatifs de réduction des émissions, mais aussi et non des moindres, la communication à grande échelle autour du sujet. En communiquant de façon abusive, au travers de termes et expressions inadaptés et en oubliant les étapes essentielles d’une communication responsable, les entreprises s’exposent au greenwashing, phénomène dont les conséquences peuvent être très négatives pour leur image.

C’est sur cette dernière thématique que Katia Prassoloff, CSR & Customer Communication Manager chez Reforest’Action, nous livre son expertise. Au détour de cinq questions, elle donne les clefs aux entreprises pour bien (ou mieux) mettre en valeur leur démarche carbone, lorsque celle-ci repose sur des bases solides.

Contribution carbone : 5 questions à

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La communication autour des actions de contribution pour le climat est particulièrement sous le feu des projecteurs. Quels sont les pièges à connaître avant de partager sa démarche carbone avec ses parties prenantes ?

« De plus en plus d’entreprises communiquent ouvertement sur leur engagement pour le climat, et tombent dans les pièges du greenwashing. La force de frappe des entreprises dans la lutte contre le changement climatique est essentielle, et c’est d’ailleurs la vision que nous défendons chez Reforest’Action, mais il ne faut pas non plus sous-estimer leur responsabilité sociétale, notamment au travers des messages qu’elles diffusent. La contribution carbone volontaire est destinée aux entreprises qui souhaitent agir sur la base du volontariat. Si elle est encore peu réglementée, elle est soumise à des bonnes pratiques qu’il convient de respecter pour être identifié comme un acteur responsable et conscient des enjeux.

À toute organisation qui souhaite partager son engagement climatique avec ses parties prenantes, mon premier conseil est de se baser sur un socle de connaissances suffisamment solide. En effet, les principaux pièges reposent sur la complexité du sujet : la thématique de la contribution carbone fait appel à des mécanismes qui ne peuvent pas faire l’objet de raccourcis trop simplistes. Leur compréhension permettra avant tout aux entreprises d’adopter la bonne démarche de communication : avant de communiquer sur une action de contribution carbone, il est nécessaire d’expliquer la stratégie globale dans laquelle elle s’inscrit, en précisant notamment quelle est la trajectoire de réduction des émissions, le périmètre concerné et la mesure d’empreinte carbone associée. Une juste conception des processus climatiques permettra également aux communicants d’utiliser les termes appropriés pour promouvoir leur action : ne pas parler de réduction des émissions de l’entreprise lorsqu’il s’agit en fait de contribution carbone, ne pas laisser entendre que l’achat de crédits carbone permettra d’effacer les émissions de l’entreprise, etc. »

Au vu de la complexité du sujet, utiliser la bonne sémantique semble essentiel. Pourquoi le terme de « compensation » est-il tant décrié ?

« Chez Reforest’Action, nous évitons au maximum d’employer le terme de “compensation carbone”. Ces dernières années, l’expression souffre d’une réputation de plus en plus dégradée, liée à son utilisation excessive et/ou inadaptée. Mais en plus d’être employé à mauvais escient, le mot “compensation” induit par définition en erreur. Il laisse penser à une neutralisation immédiate de l’impact négatif des entreprises par l’achat de crédits carbone. Le fait de pouvoir “compenser les émissions liées à leurs activités” incite dès lors certaines entreprises à se défausser de leur responsabilité et à se soustraire aux efforts indispensables de réduction. Comme toute pratique de greenwashing (dans ce cas-là, on parle aussi de “carbonwashing”), cette vision irréaliste des enjeux climatiques ralentit l’éveil des consciences et représente un frein au changement de trajectoire absolument nécessaire pour atteindre la neutralité carbone globale.

Nous encourageons donc les entreprises à passer d’une logique de “compensation” à une logique de “contribution”. Dans un premier temps, l’idée d’apporter sa contribution au climat est plus collective et, chez Reforest’Action, nous croyons vraiment en la force du collectif pour relever les défis environnementaux. Mais elle est aussi beaucoup plus précise : financer un projet certifié ne fait pas disparaître les émissions d’une entreprise mais lui permet de contribuer à l’augmentation des puits de carbone, par exemple. La notion de “contribution” est également plus juste car lorsqu’une entreprise achète des crédits carbone, elle contribue à la hauteur de son financement à un projet utile pour le climat. Enfin, parler de “contribution carbone” permet de valoriser les actions positives pour le climat, alors qu’utiliser le terme de “compensation” montre plutôt que l’on cherche à contrebalancer les actions négatives.

Cette approche est promue par bien d’autres acteurs reconnus dans le secteur, tels que Carbone 4, l’ADEME ou encore la Net Zéro Initiative. Chez Reforest’Action, nous encourageons les contributeurs qui souhaitent communiquer sur leur démarche à être extrêmement vigilants, car l’usage d’une mauvaise sémantique peut remettre en cause la légitimité de leur action à nos côtés. À titre d’exemple, voici comment nous pourrions leur conseiller de s’exprimer : “Nous apportons notre contribution pour le climat en réduisant notre propre empreinte carbone, et en finançant des projets de préservation de puits de carbone forestiers avec Reforest’Action”. »

Les accusations de greenwashing visent bien souvent les allégations de « neutralité carbone ». N’est-ce pourtant pas un terme scientifiquement reconnu ?

« Certaines entreprises qui se tournent vers la contribution carbone volontaire ont effectivement pour ambition de devenir “neutres en carbone”, mais cette expression est à l’origine de nombreux malentendus. En fait, tout est une question d’échelle : pour bien comprendre, il est encore une fois nécessaire de revenir à certaines notions de base. La seule neutralité carbone qui soit rigoureusement définie par la science se traduit comme un équilibre entre les émissions de CO2 causées par les activités humaines (combustion d’énergies fossiles, déforestation, etc.) et leur absorption par les puits de carbone, dont les forêts. La seule issue pour retrouver cet équilibre est d’agir simultanément sur les deux côtés de la balance : réduire drastiquement les émissions anthropiques tout en augmentant massivement la séquestration carbone. Mais cette mécanique n’est scientifiquement valable qu’au niveau planétaire, dans une logique de contribution collective à un objectif global. On en revient toujours à l’idée de “contribuer”.

Une entreprise (ou son produit/service) ne peut donc pas se revendiquer “neutre en carbone” à son échelle, et encore moins en achetant des crédits carbone à hauteur de ses émissions sans réels efforts en matière de réduction. Toute entreprise peut cependant “contribuer à la neutralité carbone globale” en optant pour une démarche vertueuse à l’intérieur et en dehors de sa chaîne de valeur. Il s’agit d’activer plusieurs leviers en même temps :

A) Réduire ses émissions de gaz à effet de serre directes et indirectes de manière significative et, quand cela est possible, augmenter la séquestration de carbone, via des projets agroforestiers par exemple, au sein de sa chaîne de valeur.

B) Contribuer à des projets de réduction ou d’évitement des émissions, ainsi que des projets permettant de développer les puits de carbone, en dehors de sa chaîne de valeur. Cette démarche est également celle validée par l’ADEME, l’agence de la transition écologique.

Je reçois beaucoup de supports de communication de la part de nos contributeurs, et les allégations de neutralité représentent une erreur encore très fréquente. Les messages responsables que je leur propose en remplacement sont peut-être moins percutants d’un point de vue marketing, mais ils sont surtout beaucoup plus justes. Nous sommes convaincus que véhiculer les bons messages fait partie de la réponse. »

Certaines entreprises utilisent d’autres expressions, dont celle de « Net Zero ». Est-elle également à proscrire ?

« Il existe différentes expressions pour parler de neutralité carbone. Pour Reforest’Action, la seule qui soit valable à l’échelle des entreprises est celle définie par la SBTi (Science-based Targets Initiative), une initiative collectivement créée en 2015 par plusieurs acteurs reconnus, dont le Global Compact de l'ONU, visant à inciter les entreprises à fixer des objectifs de réduction de leur empreinte carbone alignés avec l’Accord de Paris. Dans le cadre de son “Net-Zero Standard”, la SBTi invite les organisations à suivre une trajectoire séquencée en quatre étapes, impliquant une réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre de 90 à 95% d’ici 2050 au plus tard. Ce n’est qu’à partir de ce moment-là, et en finançant en parallèle, de façon permanente, des projets permettant de séquestrer du carbone à hauteur de leurs émissions résiduelles (les 5 à 10% restants), qu’elles atteindront leur point de « net zero » et pourront le revendiquer. Il s’agit d’un cas particulier, car les entreprises qui adoptent une démarche de neutralité validée par la SBTi s’inscrivent dans un cadre rigoureusement défini.

Reforest’Action soutient d’ailleurs cette initiative en proposant des solutions fondées sur la Nature qui permettent aux entreprises de répondre aux exigences de la SBTi. »

De nombreuses initiatives, lois et règlements commencent à encadrer les communications autour du carbone. C’est donc un élément supplémentaire à prendre en considération avant de communiquer ?

« C’est surtout une raison de plus pour commencer à bien communiquer sur le sujet. En France, la législation commence à bouger. Dans le cadre de la Loi Climat et Résilience, un décret relatif à la contribution carbone et aux allégations de neutralité dans la publicité est entré en vigueur en janvier 2023. Ce dernier soumet les entreprises à certaines obligations avant de pouvoir proclamer que leurs produits ou services sont neutres en carbone, telles que la publication du bilan détaillé de leurs émissions, de la trajectoire d’évitement et de réduction mise en œuvre ou envisagée et des modalités de contribution à des projets certifiés. Au niveau européen, la directive contre les Green Claims, applicable dès 2026, insiste sur la notion de “preuves détaillées” qui devra accompagner toute allégation environnementale, dont celles sur la neutralité carbone qui ne pourront plus se baser uniquement sur des actions de contribution. À l’international, outre les initiatives comme la SBTi ou la VCMi (Voluntary Carbon Markets Integrity Initiative), la norme ISO 14068 vise la définition de méthodologies permettant d’encadrer les déclarations de neutralité des entreprises, et devrait être publiée à l’été 2024.

On le voit, la réglementation met petit à petit l’accent sur le bien-fondé scientifique de la démarche climat des entreprises, qui doivent arrêter de s’appuyer sur une science erronée pour communiquer. Toutefois, la mise en place de ces encadrements prend du temps et leur ambition est souvent revue à la baisse une fois en vigueur. Comme je l’ai expliqué précédemment, chez Reforest’Action, nous préférons tout simplement déconseiller à nos contributeurs de se proclamer “neutres en carbone”. C’est également la recommandation de l’ADEME, qui a publié un avis sur l’utilisation de l’argument de neutralité carbone dans les communications, auquel nous avons participé. Je pense qu’il s’agit de l’étape suivante, du niveau supérieur en matière de communication responsable : arrêter de penser et d’agir en silo pour promouvoir une approche commune qui vise l’atteinte globale des objectifs de l’Accord de Paris. »