Reforest’Action / « La Régénération Naturelle Assistée permet aux forêts d’être plus résilientes face aux changements climatiques » : l’interview de Sasha Pinot
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« La Régénération Naturelle Assistée permet aux forêts d’être plus résilientes face aux changements climatiques » : l’interview de Sasha Pinot

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Situé au cœur du Parc naturel régional de Millevaches en Corrèze, le projet de Peyrelevade vise à reconstituer une forêt diversifiée en respectant les processus naturels de croissance et de renouvellement des forêts. C’est la méthode de la Régénération Naturelle Assistée (RNA) qui a été plébiscitée par Reforest’Action afin de valoriser 14 700 arbres au sein de ce site naturel de conservation, qui s’inscrit dans le réseau Natura 2000. Sasha Pinot, chargée de projet France pour Reforest’Action, explique le choix de cette méthode, ses atouts et les bénéfices attendus grâce à la mise en œuvre du projet dans un contexte d’adaptation aux changements climatiques.

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En quoi consiste le projet de Peyrelevade situé dans le Limousin ?

Sasha Pinot : Ce projet de régénération naturelle vise à restituer une forêt diversifiée tout en veillant à respecter au maximum les processus naturels de croissance et de renouvellement des peuplements. Aujourd’hui, 14 700 arbres d’essences diverses comme le douglas, le mélèze, l’épicéa, le sapin et le chêne sont valorisés via des travaux. À terme, cette forêt en devenir participera au développement économique local, venant nourrir la filière bois. La restauration de cet écosystème dégradé permettra le maintien d’une ambiance forestière et de son aspect paysager. Foyer d’accueil d’une biodiversité riche, cette forêt contribuera également au stockage de carbone et participera à la lutte contre le réchauffement climatique. Situé au cœur du Parc naturel régional de Millevaches en Corrèze, dans le Limousin, ce site naturel fait partie du réseau Natura 2000, un réseau européen de zones spéciales de conservation pour les habitats et les espèces.  

Quelle est l’histoire de cette forêt ?

Sasha Pinot : Les deux parcelles concernées par le projet ont été plantées de douglas, d’épicéas et de pins sylvestres il y a de cela 35 ans. Elles étaient destinées à subir une coupe rase dans les années à suivre, afin de récolter le bois produit, puis à être replantées selon le même schéma intensif. La coupe rase consiste en l’ouverture brutale d’un milieu, provoquant la destruction à long terme de nombreux habitats naturels indispensables à certaines espèces. Dans la plupart des cas, cela implique également la venue de lourdes machines qui détruisent la vie du sol, en les tassant et en les labourant sur de grandes surfaces.

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En quoi la mise en œuvre d’un projet de RNA est-elle nécessaire pour la restaurer ?

Sasha Pinot : L’un des objectifs principaux de ce projet est de mettre un terme à la dégradation forestière provoquée par cette gestion stricte et simplifiée de la forêt. En adoptant une gestion plus douce telle que la Régénération Naturelle Assistée, les propriétaires font le choix de ne plus perturber la vie de la forêt. Pour cela, ils observent les mécanismes naturels, puis interviennent ponctuellement quand cela est nécessaire, de manière localisée. La circulation au sein des parcelles se fait uniquement sur des voies tracées, permettant de ne pas tasser le sol inutilement. Cette méthode permet d’une part aux cycles naturels de s’exprimer, et d’autre part au sylviculteur de réduire ses travaux, dont une grande partie est réalisée naturellement par la forêt.    

Comment les essences ont-elles été choisies lors de la mise en place du projet ?

Sasha Pinot : Le projet valorise certaines essences d’arbres, dont le douglas, le mélèze, l’épicéa, le sapin et le chêne. Ces essences ont plusieurs fonctions. Elles appartiennent aux feuillus et aux résineux, et ont été choisies parce qu’elles sont particulièrement bien adaptées à la station. Avec un objectif de 80% de régénération naturelle, ce projet favorise également le développement d’autres essences, dont les graines sont déjà présentes dans le sol.  

Quelle est la différence entre la méthode de la RNA et la sylviculture classique ?

Sasha Pinot : Les forêts françaises sont aujourd’hui sujettes à de nombreuses menaces, notamment liées aux changements climatiques. C’est pour y faire face et s’éloigner de la sylviculture « classique » que les propriétaires des parcelles de Peyrelevade ont décidé d’entamer une transition vers la Régénération Naturelle Assistée.

La différence majeure entre la sylviculture intensive et la RNA réside dans la succession écologique. D’un côté, une forêt naturelle naît suite à la germination de quelques arbres. Une fois la canopée fermée, les conditions d’ombre et d’humidité sont réunies pour le développement des essences forestières plus fragiles. Ce sous-étage renforce alors la structure de l’écosystème, et permet l’installation durable des végétaux jusqu’à leur maturité. Des perturbations ponctuelles (par exemple une tempête ou une mort naturelle) viendront ensuite dynamiser la vie de l’écosystème. Une forêt naturelle est une mosaïque de ces stades, mêlant différents groupes fonctionnels ayant besoin les uns des autres.

A l’inverse, dans le cadre d’une forêt gérée de manière intensive, les arbres fragiles sont plantés sur un terrain nu, exposés à de multiples risques (sécheresses, inondations, gibier). Ils n’appartiennent souvent qu’à une ou deux espèces et la structure du milieu est très simple, composée d’une seule strate. A maturité, tous les arbres sont coupés et il faut repartir de zéro. Ces forêts artificielles ne sont pas adaptées pour résister aux perturbations et limitent grandement les capacités d’évolution naturelle du milieu.

Il est pourtant primordial d’augmenter la résilience de nos forêts afin qu’elles continuent de fournir leurs services écosystémiques. En faisant le choix de respecter le cycle naturel de leur forêt, en optant pour la gestion en RNA, les propriétaires de ce projet améliorent grandement la capacité de leur forêt à faire face aux différentes menaces.  

En quoi la forêt restaurée grâce à la RNA sera-t-elle plus résiliente face aux changements climatiques ?

Sasha Pinot : Elle le sera notamment à cinq niveaux :

  • La stabilité de l’écosystème sera améliorée. En l’absence de coupes rases, au sein des forêts naturelles, le couvert végétal est toujours maintenu, ce qui a de nombreux bénéfices. Les variations d’humidité et de température sont très faibles, puisque le sol n’est jamais exposé directement au soleil ni aux courants d’air. La structure complexe de l’écosystème est préservée, abritant une multitude d’espèces ayant chacune leur rôle à jouer. Aucune destruction d’habitat n’est engendrée, favorisant le développement d’une vie diversifiée.
  • Les arbres bénéficieront de ressources complémentaires. En fonction des essences, les racines vont puiser de l’eau à différentes profondeurs. La diversité de ces systèmes racinaires permet l’exploration de sources d’eau variées, indispensable lors des périodes de sécheresse de plus en plus fréquentes. Cette complexité souterraine joue également un rôle dans la structuration des sols, limitant l’érosion.
  • La diversité des essences permettra de réguler les maladies et les ravageurs. Il s’agit de la première cause de dégradation de nos forêts. Ils se retrouvent majoritairement dans les peuplements comportant peu d’essences différentes, puisqu’ils n’ont pas de prédateurs. Dans une forêt diversifiée, toutes les espèces (animales, végétales, fongiques et microbiologiques) sont en compétition, rétablissant un équilibre entre prédateurs et proies.
  • Les dégâts liés au gibier seront réduits. Les arbres issus de semis naturels sont beaucoup moins appétissants pour le gibier que ceux ayant été fertilisés en pépinière. 
  • A long terme, la rentabilité de la forêt sera accrue. Une grande diversité d’essences garantit une récolte, même si l’une de ces essences est impactée par une maladie. A côté de cela, la fertilité du milieu est maintenue grâce à un cycle dynamique de la matière organique et à des impacts quasiment inexistants sur le sol.

Pourquoi peut-on parler de gestion forestière durable concernant la RNA ?

Sasha Pinot : En optant pour la Régénération Naturelle Assistée, les propriétaires produisent du bois de qualité tout en maintenant une biodiversité riche et fonctionnelle au sein de l’écosystème.

Les forêts vivantes et productives se créent naturellement partout sur Terre, indépendamment de la présence de l’Homme. La Nature fournit les semis et les conditions nécessaires à leur bon développement, la faune et la flore maintiennent un équilibre entre les maladies et les ravageurs. Dans son cycle, lorsqu’un arbre meurt, il tombe et laisse sa place. Les jeunes arbres de la régénération naturelle profitent alors de la trouée pour croître jusqu’à la combler de nouveau. La méthode de la RNA respecte ces principes naturels, tout en favorisant les arbres les plus intéressants.

Les essences présentes dans le peuplement du projet de Peyrelevade ont poussé seules. La plupart d'entre elles sont donc locales et leur génétique est adaptée aux conditions du milieu. Le peuplement évolue naturellement dans le temps, ne sélectionnant que les espèces les plus compétitives.

Dans la région, les exemples sont nombreux de propriétaires basant leur gestion sur les processus naturels. Au cœur du Parc Naturel Régional de Millevache, le projet de Peyrelevade s’inscrit dans ce réseau pour reconstruire petit à petit le massif forestier français d’antan. Sa certification PEFC est un argument supplémentaire attestant de sa gestion durable, qui prend en compte la vision multifonctionnelle de la forêt. En effet, le label PEFC garantit l’application de règles strictes par tous les intervenants en forêt (propriétaires, exploitants et entrepreneurs de travaux forestiers). Parmi les engagements à honorer afin d’obtenir le label PEFC, nous retrouvons : favoriser la diversité d’essences dans la forêt, ne pas utiliser de fertilisants, préserver les sols, la faune et la flore, ou encore conserver des arbres morts, porteurs de biodiversité.  

Comment la RNA participe-t-elle à la filière durable du bois ?

Sasha Pinot : L’objectif final du projet de Peyrelevade est d’atteindre une forêt diversifiée, multifonctionnelle et résiliente, tout en profitant à l’économie locale.

Contrairement à la sylviculture classique, les coupes de bois ne sont pas faites sur une grande surface d’un seul tenant. La structure de la forêt est complexe et nécessite des coupes localisées, mais plus régulières. Par exemple, au lieu de récolter une parcelle de bois une fois tous les 80 ans, le sylviculteur ne va prélever que les plus beaux arbres tous les 5 ans. Dans les deux cas, les revenus sont quasiment identiques, mais la rémunération est plus régulière pour le sylviculteur dans le cadre d’une gestion en RNA.

Cette méthode nécessite le savoir-faire de métiers spécialisés et les gros arbres doivent être envoyés dans des petites scieries adaptées. En générant de l’emploi, ces projets de conversion en RNA encouragent les nouvelles générations à se former pour retrouver ces connaissances traditionnelles.

Par ailleurs, la Corrèze est un département forestier qui profite d’une bonne pluviométrie et d’un climat frais et ensoleillé, idéal pour le bon développement des forêts. Dans ces conditions, le bois produit dans le cadre du projet de Peyrelevade sera de très bonne qualité et profitera à toute la filière locale (gestionnaires, bûcherons, scieries, etc.).  

Une gestion forestière en RNA permet-elle de séquestrer autant de carbone qu’une gestion classique ?

Sasha Pinot : Le projet de Peyrelevade est particulièrement intéressant du point de vue de la séquestration de carbone. Comme dans les plantations classiques, les arbres séquestrent du carbone toute leur vie. Celui-ci est stocké durablement lorsque le bois est exporté et utilisé dans la construction ou l’ameublement. Par ailleurs, la méthode de la RNA possède un atout supplémentaire en comparaison aux méthodes sylvicoles classiques : le carbone du sol reste intact. En effet, ce type de forêt n’exporte pas 100% de sa production. Le sous-bois se développe librement et le bois mort est laissé sur place. En se décomposant, le carbone qu’il contient est maintenu dans le sol. Par la suite, il ne sera pas relargué dans l’atmosphère comme c’est le cas lors du labour suivant généralement une coupe rase.

Il faut noter toutefois que si le stockage de carbone est un bon indicateur dans l’étude du changement climatique, il ne permet toutefois pas de juger de la qualité d’une forêt. Sur une même surface, une monoculture intensive de douglas va séquestrer davantage de carbone qu’une forêt diversifiée. Pourtant, elle n’est pas durable, et son intérêt écologique ainsi que sa résilience sont bien inférieurs.  

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Parce que la Régénération Naturelle Assistée permet de valoriser l'existant pour préserver et renforcer le patrimoine forestier, et le rendre plus diversifié et résilient sur le long terme, cette méthode est particulièrement pertinente dans le contexte du changement climatique. Mais pour voir le jour, les projets de RNA ont besoin de financements, notamment ceux d’entreprises soucieuses de contribuer à la restauration des forêts. C’est le cas de Swiss Life Asset Managers, qui soutient le projet de Peyrelevade présenté dans cet article. Partout en France, grâce aux financements d’entreprises engagées, Reforest’Action développe des projets de régénération des écosystèmes  en s’appuyant notamment sur la méthode de la Régénération Naturelle Assistée.