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Qu’entend-on par "budget carbone" ?

Décryptages

Définir le budget carbone

Le concept de "budget carbone" est apparu dans le cadre du travail du groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (le GIEC). Celui-ci a notamment mis en avant la relation existante entre le réchauffement planétaire et le cumul des émissions de CO2 depuis l'ère industrielle. La science du climat définit ainsi un "budget carbone" comme étant la quantité de gaz à effet de serre pouvant être "dépensée" - ou plutôt émise, pour un niveau donné de réchauffement de la planète[1]. Un budget carbone correspond à la quantité maximale d’émissions anthropiques mondiales nettes cumulées de dioxyde de carbone (CO2) qui permettrait, avec une certaine probabilité, de limiter le réchauffement climatique à un niveau donné. Le budget carbone total est exprimé par rapport à la période préindustrielle.

Lorsqu’il est exprimé à partir d’une date récente spécifiée, on parle alors de « budget carbone restant » - comme l’a défini le GIEC dans son rapport de 2018[2]. Il représente notre marge de manœuvre en émission de CO2 pour limiter le réchauffement planétaire en dessous d’un seuil donné de réchauffement par rapport au niveau préindustriel - limite estimée par le GIEC à 1170 milliards de tonnes de CO2 pour 2°C au 1er janvier 2018. Il s’agit de l’estimation des émissions mondiales nettes cumulées de CO2 anthropique depuis une date de début donnée jusqu’au moment où les émissions anthropiques de CO2 atteignent un niveau net nul. Ceci aurait pour effet, selon toute probabilité, de limiter le réchauffement planétaire à un niveau donné, compte tenu de l’impact des autres émissions anthropiques[3].

Le Protocole de Kyoto[4] a aussi mis en œuvre la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) invitant les pays industrialisés et les économies en transition à limiter et à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) avec des objectifs individuels convenus. Sept gaz à effet de serre sont plus précisément pris en compte par ce Protocole : le dioxyde de carbone (CO2), le méthane (CH4) et le protoxyde d’azote (N2O) (dans la catégorie des gaz non fluorés), et les hydrocarbures fluorés (HFC), les hydrocarbures perfluorés (PFC), l’hexafluorure de soufre (SF6) et le trifluorure d’azote (NF3) (dans la catégorie des gaz fluorés). Il est possible de comparer ces gaz en les convertissant en équivalents dioxyde de carbone (CO2) afin de déterminer leur contribution individuelle et totale au réchauffement de la planète.

Le « budget d’émissions » considéré dans les engagements de réductions concerne un total pour un ensemble de gaz. Le « budget carbone » lié au réchauffement tel que présenté́ par le GIEC[5] concerne uniquement le dioxyde de carbone (CO2), mettant ainsi de côté les autres GES comme le méthane (CH4) et le protoxyde d’azote (N2O). Un budget carbone qui inclurait les autres GES serait alors plus élevé. Un budget d’émissions peut en outre être lié à des objectifs portant sur d’autres variables climatiques connexes - comme le forçage radiatif ou l’élévation du niveau de la mer. Il est calculé en combinant les estimations de divers facteurs contributifs, y compris les preuves scientifiques, les jugements de valeur ou les choix.

Budgétiser des émissions de gaz à effets de serre (GES)

Les budgets carbone permettent d’évaluer l’efficacité des mesures de réduction des GES. Il peut s’agir de l’utilisation de sources d’énergies renouvelables ou de la prise en compte de facteurs d’atténuation tels que les initiatives de captage du carbone ou les programmes de reboisement. L’une des principales sources d’émission de dioxyde de carbone réalisée par l’être humain se situe dans la combustion d'énergies fossiles : charbon, gaz, essence et pétrole. La fabrication du ciment constitue, elle aussi, une source subtantielle de libération de dioxyde de carbone dans l’atmosphère.

En outre, trois caractéristiques fondamentales des GES expliquent le réchauffement de la planète :

1. La concentration : l’être humain peut influer directement sur la quantité de gaz libérée dans l’atmosphère.

2. La force : efficacité avec laquelle une molécule de gaz peut piéger la chaleur.

3. La durée de vie : durée moyenne pendant laquelle le gaz reste dans une atmosphère non renouvelée.

Un budget d’émissions ne doit pas être confondu avec un objectif d’émissions. Un budget d’émissions peut être fixé, au niveau international ou au plan national, en se référant à des objectifs autres que celui d’une température globale spécifique. Il est généralement appliqué aux émissions sur une seule année. De plus, le budget n’est pas un budget annuel, mais plutôt un budget cumulatif étudié sur l’ensemble de la durée. Il se fonde sur le fonctionnement dit naturel de la Terre.

Enfin, une fois le budget carbone dépensé, les émissions nettes doivent être maintenues à zéro à compter de cette date afin d’éviter de dépasser l’objectif de température fixé dans l'Accord de Paris en particulier.

Budgétiser le futur

Le budget carbone permet ainsi de définir la marge de manœuvre dont dispose la communauté internationale pour mettre en place ses mesures de réduction d'émissions de gaz à effet de serre à l'échelle mondiale. Il sert à informer les décideurs quant à la rapidité avec laquelle il importe de ramener les émissions à un taux zéro. Il représente également un élément d’analyse simple pour pouvoir étudier les implications potentielles d’un avenir marqué par des contraintes carbone. Cet outil a donc une vocation opérationnelle. Les décideurs publics disposent d'informations capitales concernant le changement climatique et le cycle carbone. Divers mécanismes juridiques permettent alors d’encourager et d’encadrer ces mesures visant à établir un budget carbone.

La plupart des pays ont ainsi ratifié l’Accord de Paris[6] - lequel oblige les gouvernements à fixer des objectifs définis au niveau national pour limiter le réchauffement de la planète à moins de 2 °C, ou aussi près que possible d’1,5 °C, par rapport aux niveaux préindustriels.

La Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC)[7] a établi ces objectifs sur la base de projections des impacts climatiques futurs, associés à différents niveaux de réchauffement de la planète. Ces projections permettent de fixer le seuil du volume de gaz à effet de serre - mesuré en équivalents dioxyde de carbone, pouvant être émis dans l’atmosphère. De plus, la transposition d’un budget carbone mondial résiduel et conforme à un objectif climatique spécifique, en budgets carbone nationaux implique avant toute chose de prendre en compte des aspects d’équité et de justice entre les pays ainsi que d’autres choix méthodologiques.

Mentionnons également l’Initiative "Science Based Targets" (SBTi) qui propose un mécanisme - une certification fondée sur un standard, ayant commencé à porter ses fruits en faveur de la mise en œuvre des conclusions du Rapport spécial du GIEC. En effet, d’une part, la science du climat (‘science based’) la plus récente peut être considérée comme nécessaire pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris. D’autre part, la SBTi constitue l’une des principales initiatives permettant au secteur privé de réduire ses émissions de GES et de définir un objectif net zéro dans la perspective d’un avenir à +1,5 °C.

Enfin, le budget carbone peut également démontrer les répercussions de l’inaction, car il utilise les projections climatiques pour déterminer des scénarios futurs. Selon la Contribution du Groupe de travail III au sixième Rapport d’évaluation du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), publiée en avril 2022, il est encore temps de limiter l’augmentation de la température mondiale en dessous d’1,5 °C. La communauté scientifique attire toutefois l’attention sur le fait que les possibilités d’agir diminuent rapidement et que la situation revêt un caractère d’urgence.

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Références

[1] IPCC, « Réchauffement planétaire de 1,5 °C. Rapport spécial sur les conséquences d’un réchauffement planétaire de 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels et les trajectoires associées d’émissions mondiales de gaz à effet de serre, dans le contexte du renforcement de la parade mondiale au changement climatique, du développement durable et de la lutte contre la pauvreté », 2018, https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/sites/2/2019/09/SR15_Summary_Vol...

IPCC, 2022_: Climate Change 2022: Mitigation of Climate Change. Contribution of Working Group III to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change_ [P.R. Shukla, J. Skea, R. Slade, A. Al Khourdajie, R. van Diemen, D. McCollum, M. Pathak, S. Some, P. Vyas, R. Fradera, M. Belkacemi, A. Hasija, G. Lisboa, S. Luz, J. Malley, (eds.)]. Cambridge University Press, Cambridge, UK and New York, NY, USA.

Lire aussi: M. Pathak, R. Slade, P.R. Shukla, J. Skea, R. Pichs-Madruga, D. Ürge-Vorsatz,2022: Technical Summary. In: Climate Change 2022: Mitigation of Climate Change. Contribution of Working Group III to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change [P.R. Shukla, J. Skea, R. Slade, A. Al Khourdajie, R. van Diemen, D. McCollum, M. Pathak, S. Some, P. Vyas, R. Fradera, M. Belkacemi, A. Hasija, G. Lisboa, S. Luz, J. Malley, (eds.)]. Cambridge University Press, Cambridge, UK and New York, NY, USA.

2] Rapport spécial du GIEC sur les conséquences d'un réchauffement planétaire de 1,5 °C, 8 octobre 2018 : https://climat.be/doc/181008_IPCC_sr15_spm.pdf

[3] H. Damon Matthews, Katarzyna B. Tokarska, Zebedee R. J. Nicholls, Joeri Rogelj, Josep G. Canadell, Pierre Friedlingstein, Thomas L. Frölicher, Piers M. Forster, Nathan P. Gillett, Tatiana Ilyina, Robert B. Jackson, Chris D. Jones, Charles Koven, Reto Knutti, Andrew H. MacDougall, Malte Meinshausen, Nadine Mengis, Roland Séférian and Kirsten Zickfeld, “Opportunities and challenges in using remaining carbon budgets to guide climate policy”, Nature Geoscience, 30 novembre 2020.

4] « Qu'est-ce que le Protocole de Kyoto ? », Fiche thématique, Vie publique, https://www.vie-publique.fr/fiches/274835-quest-ce-que-le-protocole-de-k...

[5] Dans son rapport d’évaluation, le GIEC exprime les émissions de CO2 en gigatonnes de « concentration carbone » (GtC). Par exemple, on indique que le budget carbone entre 1861 et 2100 est de 800 GtC. Pour convertir les unités de GtC en unités de Gt CO2, on multiplie les unités de GtC par 3,67. En effet, la masse atomique du CO2 est de 44, tandis que celle du carbone est de 12 (et donc : 44 / 12 = 3,67). GROUPE INTERGOUVERNEMENTAL D’EXPERTS SUR L’ÉVOLUTION DU CLIMAT (GIEC), Cinquième rapport d’évaluation – Groupe de travail I, Résumé́ à l’intention des décideurs publics, 2013, p. 25, www.climate- change2013.org/images/uploads/WGI_AR5_SPM_brochure.pdf

[6] Accord de Paris, 12 décembre 2015, entré en vigueur le 4 novembre 2016 : https://unfccc.int/fr/a-propos-des-ndcs/l-accord-de-paris

[7] CCNUCC, Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, entrée en vigueur le 21 mars 1994 : https://unfccc.int/fr/processus-et-reunions/qu-est-ce-que-la-ccnucc-la-c...

Crédit photo : Pexels, Paul G.