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Renouer avec le Vivant, pour une humanité durable

Forêts

A l’occasion de la troisième édition du Mois de la Forêt, qui sera organisée en mars 2021 autour du thème de la restauration des écosystèmes, Reforest’Action revient sur le rapport entretenu par les sociétés humaines au vivant sous toutes ses formes. Qu’est-ce qui nous a déconnecté de la Nature au fil des siècles, et en quoi cette scission n’est pas une fatalité ? Comment construire une humanité durable, en harmonie avec les écosystèmes naturels ? Entre philosophie et écologie, la reconnexion au vivant est primordiale pour penser le monde de demain.

Qu’est-ce que le vivant ?

Les fondements du vivant

Un être vivant est, d’après l’Encyclopédie Universelle, « un système organisé, en perpétuel état de renouvellement, échangeant à tout instant avec le milieu dans lequel il se trouve des flux d’informations, de matière, d’énergie. » Est vivant ce qui est également « capable de se reproduire semblable à lui-même, de transmettre ses caractères et les modifications de son patrimoine génétique à sa descendance, et ainsi d’évoluer. » Autrement dit, un être vivant est une entité constituée de cellules, qui naît, se nourrit pour grandir en produisant la matière organique dont son corps est constitué, se reproduit et meurt.

Quelle place tient le vivant dans notre quotidien ?

Nous sommes ainsi, au quotidien et sans en avoir pleinement conscience, le vivant nous-même et environnés par lui. Dans les arbres qui bordent les rues de nos villes et dans les plantes qui décorent nos intérieurs. Dans les champignons croisés dans nos jardins, les oiseaux et les insectes aperçus par nos fenêtres. Et jusque dans les milliards de bactéries qui constituent, à l’intérieur de chaque être humain, son microbiote. Si les confinements instaurés en 2020 dans le cadre de la lutte contre la pandémie de COVID-19 ont pu faire prendre conscience aux populations urbaines, partout dans le monde, de ce manque profond de nature, c’est que cette interdépendance entre les êtres humains et le vivant sous toutes ces formes est bien sous-jacente à notre équilibre en tant que maillon de la chaîne de la vie.

Les écosystèmes naturels, réservoirs du vivant

Plus éloignés d’un quotidien urbain, et pourtant essentiels à l’équilibre du vivant sur Terre, les écosystèmes naturels sont des réservoirs de la diversité du vivant, appelée biodiversité. Une forêt, un océan, une prairie, une savane ou une rivière sont autant d’écosystèmes naturels au sein desquels se déroulent des interactions entre les êtres vivants qui les composent. Les écosystèmes sont ainsi les lieux de ces échanges de matière et d’énergie, nécessaires à la vie même, et partie intégrante des cycles biogéochimiques de la planète. C’est l’équilibre dynamique des écosystèmes naturels qui fait que chacune de ces espèces vivantes existe. Dès lors, la perturbation de cet équilibre, via la dégradation des écosystèmes naturels par exemple, peut engendrer la disparition de l’une d’entre elles – et l’extinction d’une espèce peut en entraîner d’autres, dans cette logique de profonde interdépendance.

Sommes-nous déconnectés du vivant ?

Le divorce entre l’homme et la nature

Fondé sur l’idée que les êtres vivants humains vivent dans un monde séparé de celui des êtres vivants non-humains, le naturalisme caractérise la pensée occidentale depuis le XVIIe siècle. Dans ses recherches, l’anthropologue Philippe Descola explique ainsi que les sociétés occidentales, déconnectées de la nature, la considèrent dès lors comme un puits de ressources, conçues à tort comme étant illimitées. La continuité entre l’homme et son environnement aurait ainsi été mise à mal dès la première Révolution industrielle, et se serait délitée davantage avec la Révolution numérique et l’émergence d’un monde virtuel, détaché du vivant dans toutes ses formes. L’humanité, de plus en plus urbanisée et tournée vers la surexploitation des ressources naturelles, consomme d’ailleurs chaque année, depuis le début des années 1970, bien plus de ressources que la Terre ne peut en produire.

Déconnexion au vivant, altération des écosystèmes et réchauffement climatique

Or, l’épuisement des ressources naturelles terrestres va de pair avec la dégradation des écosystèmes et du précieux équilibre qu’ils maintiennent, nécessaire à la pérennité de la vie sur la planète. Dans la plupart des régions du monde, la nature a été altérée de manière significative par de multiples facteurs humains, tels que la densité de population et l’exploitation des milieux naturels par l’élevage, l’agriculture intensive ou encore l’extraction de minerais et d’énergies fossiles. L’IPBES estime aujourd’hui que 75% des milieux naturels terrestres sont dégradés. La pandémie de COVID-19 témoigne ainsi, selon Philippe Descola, de cette dégradation sans précédent des milieux naturels, et notamment des forêts, qui sont encore victimes de déforestation à hauteur de 10 milliards d’hectares déboisés chaque année. En l’absence de mesures concrètes et d’envergure contre la dégradation des écosystèmes, les scientifiques prévoient de ce fait une démultiplication des pandémies dans les années à venir.

Quant au climat planétaire, sévèrement déréglé par le CO2 émis par les activités humaines, il se dirige vers un réchauffement de 3 à 7°C d’ici la fin du siècle, qui s’accompagne d’un cortège de corrélations catastrophiques pour l’humanité et le vivant au sens large. Ces effets du réchauffement climatique sont de plus en plus perceptibles - et perçus - par l’humanité, à l’image de la canicule de juillet 2019, mois le plus chaud jamais enregistré à l’échelle mondiale depuis que les relevés météorologiques existent, avec un record de 42,6 C° à Paris ; ou encore de la multiplication, ces dernières années, des feux de forêts en Californie, en Suède ou en Russie.

La biodiversité en péril : en avons-nous vraiment conscience ?

Mais la crise de la biodiversité est plus silencieuse. Ce grand bouleversement écologique, qui concerne le vivant dans son ensemble, semble plus loin de nous parce qu’il ne s’intègre pas nécessairement, par des signaux visibles, à notre quotidien. Éric Chevillard, écrivain aux éditions de Minuit, amène cette idée un pas plus loin. Dans son roman « Sans l’orang-outan », l’auteur imagine que l’extinction de cette seule espèce de primates a des répercussions concrètes et dévastatrices sur la vie de l’humanité, condamnée à l’apocalypse. La métaphore résonne fort à l’aube de la sixième extinction de masse des espèces sauvages : alors que 68% des populations d’animaux sauvages vertébrés se sont éteintes ces 40 dernières années, notre quotidien a-t-il été concrètement bouleversé ? « Ces trente dernières années, un quart des oiseaux d’Europe ont disparu et pourtant nous n’avons pas marché sur des cadavres d’oiseaux le long des routes et des chemins », développe Bruno David, Président du Muséum national d’Histoire naturelle, paléontologue et biologiste, sur France Culture. Cette crise de la biodiversité, qu’abordera fin 2021 le nouveau film de Cyril Dion, pose ainsi la question de savoir comment nous, êtres humains, pouvons reprendre conscience des autres formes de vie, et habiter la planète différemment, dans le respect de celles-ci.

Comment replacer le vivant au cœur des sociétés humaines ?

Renouer avec le vivant, redécouvrir sa diversité

Dès lors, comment reconsidérer notre rapport à la nature et au vivant ? Philippe Descola rappelle que la nature est bel et bien un tout dont l’homme n’est qu’une partie, et défend une « politique de la Terre entendue comme une maison commune dont l’usage n’est plus réservé aux seuls humains ». Une idée qui se retrouve en-dehors de la pensée occidentale, au sein de sociétés humaines fondées sur le totémisme (qui souligne le lien matériel et moral entre humains et non-humains), l’animisme (qui prête aux non-humains l’intériorité des humains) ou encore l'analogisme (qui postule un réseau de correspondances entre tous les éléments du monde).

Pour inciter à redécouvrir la diversité du vivant, l’anthropologue et géographe Damien Deville souligne quant à lui, dans son ouvrage « Toutes les couleurs de la Terre », la façon dont les non-humains habitent la planète. La tristesse des éléphants, qui se recueillent devant leurs morts. L’intelligence des arbres, qui communiquent et développent une forme de solidarité entre eux. Le monde du vivant, dans toute sa diversité, est doté d’autant de consciences de ce que c’est que d’être en vie, et d’autant de formes d’intelligence et de sensibilité dans leur rapport au monde.

Damien Deville rappelle aussi la nécessité de recréer du lien avec la terre afin de mieux renouer avec le vivant. « Je suis de ceux qui pensent que la couleur de la terre sur laquelle nous avons grandi influence le corps et les esprits », écrit-il en évoquant le « sentiment grandiose de se sentir appartenir à une terre, de se sentir appartenir à la Terre ». Cette logique d’interdépendance rappelle que tout être vivant, humain et non-humain, est fondamentalement en lien avec l’environnement qui l’entoure. Le vivant n’est jamais indépendant, mais toujours en relation avec l’autre et avec la terre à laquelle il appartient.

Une humanité en harmonie avec les écosystèmes

Dans la grande fresque du vivant, la place de l’humanité relève alors d’une forme d’écologie relationnelle, en lien avec la pluralité du vivant et la solidarité en son sein. Prendre conscience de notre juste place au sein des écosystèmes naturels est ainsi essentiel pour dessiner une humanité durable. « L’humanité durable est la préservation, mais aussi la coexistence harmonieuse, des êtres humains entre eux et avec le vivant. Cette décennie est celle de l’humanisme responsable qui replace l’Homme au sein du vivant. » annonce Marie-Cassandre Bultheel dans son "Traité d’humanité durable".

Cette décennie est aussi celle des Nations Unies pour la restauration des écosystèmes, la plus grande initiative universelle de restauration de la nature de l’Histoire. Et si la reconnexion au vivant ne se conçoit pas sans la protection des écosystèmes et de la biodiversité qu’ils abritent, il s’agirait peut-être alors de reconnaître des Droits à la Nature. Ces derniers émergent aujourd’hui grâce aux efforts de juristes, d’avocats, de juges et de membres de la société civile, et constituent un champ juridique nouveau, qui reconnaît les écosystèmes et les entités du vivant comme de véritables sujets de droits. Depuis l’inscription historique des Droits de la Nature dans la constitution équatorienne en 2008, un nombre grandissant de pays reconnaissent les droits d’écosystèmes tels que des forêts ou des rivières. La portion colombienne de la forêt amazonienne a ainsi été dotée en 2018 de droits juridiques et de protection en vertu de la loi. La reconnaissance des Droits de la Nature pourrait donc bien être synonyme, à terme, d’une préservation plus efficace des écosystèmes et de la diversité inestimable du vivant qui les compose.

Le rôle clé des entreprises en réponse à la crise du vivant

Directement concernées - en tant que responsables et bénéficiaires de l’exploitation des ressources naturelles planétaires - les entreprises ont aussi un rôle majeur à jouer dans la lutte contre l’érosion de la biodiversité. En puisant ce dont elles ont besoin pour leurs activités dans le patrimoine naturel de la planète, les entreprises ont en effet largement contribué, le plus souvent sans conscience, à la dégradation de celui-ci. Sans adaptation rapide, les entreprises seront non seulement sanctionnées par les crises économiques et sociétales inhérentes, mais aussi privées de ressources exploitables nécessaires à leurs systèmes de production. Pour leur survie et pour celle de nos sociétés toutes entières, les entreprises doivent ainsi, impérativement et simultanément, s’engager sur deux volets. D’une part, sur la réduction de leur empreinte sur les écosystèmes naturels. D’autre part, sur la contribution à un effort collectif immense de protection et de développement des puits de biodiversité. Parmi les nombreuses actions que les entreprises peuvent mettre en place, la préservation et la restauration des écosystèmes, via l’adoption de solutions fondées sur la Nature, peuvent largement contribuer à repenser et à inscrire leurs activités dans un plus grand respect de l’environnement – et à amorcer, par là-même, u****n bouleversement complet dans la façon humaine d’habiter la Terre et de se positionner par rapport au vivant.