La Colombie, tout juste sortie d’un long conflit armé, souffre aujourd’hui des conséquences d’un développement agricole en plein essor, responsable de la destruction des écosystèmes naturels. Face à une déforestation ravageuse, nous devons adopter une démarche adaptée au territoire. Pour restaurer les Páramos colombiens, biotope d’altitude sans égal, et contribuer à la pérennisation socio-économique des communautés qui y sont établies depuis des siècles, Reforest’Action déploie sur place un projet régénératif à l’échelle du paysage.
Un contexte, une démarche
Un paysage sous pression
La Colombie figure parmi les pays les plus déforestés au monde. Sur les 114 millions d’hectares disponibles, l’activité d’élevage concentre à elle seule 39 millions d’hectares, soit plus de 30% du territoire. Principalement localisée dans la région andine - où se situe le projet financé par Reforest’Action - elle bénéficie en majorité à de petits éleveurs indépendants. Les cultures vivrières, quant à elles, occupent désormais autant d’espace que les forêts colombiennes, soit environ 4% de la surface du pays.
La mission de Reforest’Action en Colombie prend racine au cœur de la cordillère des Andes, dans le département de Nariño. Elle s’inscrit au sein d’aires naturelles endémiques, les Páramos, soumises à la conversion croissante des terres en pâturages et en parcelles de culture de pommes de terre.
*Source : DANE, Institut colombien de la statistique.
Une approche régénérative
Pour pallier la dégradation des Páramos tout en s’adaptant au contexte particulier de la région, nous abordons de façon holistique les enjeux environnementaux, sociaux et économiques. Au travers d’une approche paysagère, qui permet la prise en compte de l’ensemble des services fournis par un territoire, nous œuvrons à la régénération de ces écosystèmes alto-andins.
Démarré il y a deux ans, le projet inclut quatre dimensions qui lui permettent d’être considéré comme régénératif :
- Restauration des Páramos et de leur biodiversité
- Augmentation de la séquestration carbone par les Páramos
- Préservation de la ressource en eau et optimisation de la qualité des sols
- Pérennisation de l’activité économique des producteurs locaux
Les bénéfices ainsi générés par le projet ont une influence sur l’environnement, mais aussi un impact social et économique additionnel pour les communautés locales. Découvrez ci-dessous le détail de chaque action menée.
Restaurer les Páramos de Colombie et leur biodiversité
Les Páramos, curiosités alto-andines
Le projet financé par Reforest’Action et conduit sur place par l’ONG Impulso Verde est implanté au sein de plusieurs « complexes » regroupant certains des biotopes d’altitude les plus rares de la planète : les Páramos. S’éparpillant de part et d’autre de l’équateur, dans les Andes orientales colombiennes, ils évoluent entre 3300 et 4700 mètres d’altitude, dessinant la limite entre les « forêts nuages » et les neiges éternelles.
Les Páramos sont les écosystèmes de montagne les plus riches en biodiversité floristique de la planète. La plante endémique la plus emblématique de ce milieu est sans aucun doute l’Espeletia, ou « Frailejon » en colombien. Recouverts d’un duvet de velours argenté fait de mousses et de lichens, presque phosphorescent, ces petits végétaux à l’apparence curieuse mesurent jusqu’à 3 mètres de hauteur. Surnommés les « moines » en langue locale, ils forment dans le brouillard une procession de silhouettes embrumées, créant une atmosphère presque magique. Ces spécimens croient d’à peine un centimètre par an, et les plus grands d’entre eux sont dès lors âgés de plusieurs siècles. Un tel environnement n’est pas favorable à la vie de nombreux animaux, mais on y croise tout de même quelques espèces singulières dont l’Ours à lunettes, le tapir des montagnes ou le pudu, connu pour être le plus petit cervidé au monde. Il s’agit en revanche d’une zone de passage pour beaucoup d’oiseaux migrateurs, comme le très coloré toucan pechigris.
En raison de l’extension des zones agricoles, la surface des Páramos colombiens se réduit considérablement. De surcroît, la pression anthropique provoque une dégradation majeure des services écosystémiques fournis par ce biotope unique au monde.
Les activités de restauration
Sur la zone du projet, la régénération des Páramos se matérialise par des activités de plantation sur les terres dégradées de propriétaires privés. Impulso Verde, notre partenaire sur le terrain, travaille en étroite collaboration avec 12 associations de producteurs locaux pour réaliser les travaux sylvicoles. Ceux-ci comprennent la construction des pépinières communautaires, la formation des agriculteurs, la production des jeunes plants, la plantation des arbres ainsi que la collecte et l’analyse des données de suivi (production, distribution, données GPS).
La restauration des Páramos et de leur biodiversité répond à un design de projet exigeant qui doit respecter la typologie du terrain et l’activité de ses exploitants. Séparées en plusieurs volets, les plantations s’échelonnent tout au long de l’année, avec une augmentation de la plantation dans les derniers mois.
Le premier volet consiste à créer des « clôtures vivantes » autour des parcelles agricoles. Ces haies denses serviront de brise-vent, particulièrement utiles dans cette région exposée à des courants froids, et permettront de protéger les cultures et le bétail des petits producteurs.
Le deuxième volet vise à reforester les berges des rivières et des ruisseaux qui traversent la zone. Les arbres plantés empêcheront l’érosion du sol, et fourniront un abri à la faune vivant à proximité des points d’eau.
Le troisième volet permet la création d’îlots plus densément boisés par le (re)boisement des bassins fluviaux ou des forêts alto-andines, situées aux frontières des Páramos. Néanmoins, il est plus difficile de convaincre les bénéficiaires de mettre en œuvre cette conception au sein de leurs parcelles car cela implique de renoncer à une plus grande partie de leur terrain, ce qui signifie une moindre production à court terme.
L’augmentation du carbone stocké par les Páramos est inhérente à l’activité de restauration de l’écosystème. Les activités de boisement ou de reboisement participent à la lutte contre le changement climatique via la création de puits de carbone dans les arbres et le sol des parcelles restaurées.
L'audit de terrain
Un audit du projet a été réalisé par Reforest’Action fin 2022, et le dernier monitoring effectué par notre partenaire date de janvier 2023. Depuis le début des plantations il y a deux ans, 15 pépinières - dont 3 nouvellement construites - ont permis la plantation de plus de 280 000 arbres. Au cours des six derniers mois, la région de Nariño a été touchée par plusieurs fortes gelées et tempêtes de grêle qui ont affecté les arbres nouvellement plantés. Dû au changement climatique, ces épisodes météorologiques sont de plus en plus fréquents. Le taux de mortalité des plantations, imputable au froid, était de 11% en moyenne. Un stock d’arbres « tampons » a cependant permis de remédier à la situation. Par la suite, des mesures préventives seront appliquées : favoriser les espèces les plus résistantes, dont l’aulne et le sureau, protéger tous les plants avec des haies brise-vent ou encore prioriser les étages inférieurs moins sujets aux gelées.
Préserver la ressource en eau et optimiser la qualité des sols
Les Páramos, gardiens de la ressource en eau
Les Páramos se caractérisent par un climat humide et frais. L'horizon est toujours encombré par d’épaisses brumes qui s’accrochent aux plantes, accompagnées d’une pluie fine quasi omniprésente. Le degré hygrométrique de l'air y est par conséquent très élevé.
Le sol des Páramos est lui aussi particulier. Il s’agit d’un sol tourbeux et acide, presque noir, riche en matière organique mais pauvre en nutriments. C’est pourquoi seules certaines essences endémiques peuvent y prendre racine. Constituée de cendres volcaniques, la terre présente l’incroyable capacité de retenir l’eau, agissant comme une véritable éponge et permettant la régulation des flux hydriques. Les sols des Páramos peuvent retenir jusqu’à 3 fois leur poids en eau ! L’évapotranspiration de la zone étant très faible, l’eau alors stockée ne se perd pas dans l’atmosphère.
Les feuilles des Espeletias ont la faculté de capter l’humidité de l’air et de retenir l’eau de pluie. Ces plantes velues jouent en effet un rôle majeur dans le cycle de l’eau : elles la restituent dans le sol et régulent le flux des cours d’eau en aval.
Ces zones humides constituent dès lors les principales réserves d’eau de Colombie. Source d’eau potable pour les villes, irrigation des cultures des vallées, alimentation des barrages hydro-électriques... : les étages alto-andin alimentent le réseau hydrographique du pays à hauteur de 60% de l’eau consommée.
L’accès à l’eau, une priorité
La zone de reforestation se trouve aux abords du Chiltalzón ou « Mont rempli d’eau » en langue Pasto. Ce dernier assure l’alimentation en eau d’environ 100 000 habitants, répartis dans plusieurs municipalités.
La disparition de cet écosystème a une forte incidence sur l’accès à la ressource en eau. En effet, le département de Nariño subit régulièrement des pénuries provoquées par la destruction des Páramos. La restauration de ce biotope lui permettra de retrouver son pouvoir d’approvisionnement en eau et, in fine, de préserver cette ressource précieuse. D’autres bénéfices sont à noter au niveau des sols, tels que la réduction du phénomène d’érosion ou la diminution du risque de coulée de boue.
Pérenniser l’activité économique des producteurs locaux
Les Pastos sont des communautés ancestrales du sud de la Colombie, principalement implantées dans le département de Nariño. Depuis le Ve siècle, ce peuple vit de l’agriculture et de l’élevage dans les territoires de montagne, sous les pentes du volcan Galeras. Le projet mené par Impulso Verde prônant une dimension participative, les communautés indigènes Pastos sont pleinement impliquées dans les activités de régénération des Páramos. On peut affirmer qu'au moins un tiers des participants au projet sont des descendants Pastos, dont certains vivent encore dans les resguardos, réserves indigènes légales de Colombie.
Le projet, qui s’étend actuellement dans 9 villages, bénéficie à plus de 460 ménages, via le déploiement de diverses activités économiques.
Le renforcement du modèle sylvopastoral
L’industrie de la viande, qui représentait un million de tonnes en 2019, et l’industrie laitière, qui pesait 7,3 millions de litres, sont les deux plus grands facteurs de déforestation en Colombie.
Le projet tend à démocratiser une alternative durable à l’élevage laitier, prédominant dans la région : le sylvopastoralisme. Une pratique innovante qui consiste en la plantation d’arbres autour et au sein des prairies des agriculteurs. En plus de contribuer au bien-être des animaux, les diverses espèces indigènes plantées fournissent un éventail de services écosystémiques : production de fourrage et de bois, fertilisation naturelle des sols, restauration de la biodiversité, source d’aliments pour les habitants, approvisionnement en plantes médicinales et mellifères, et bien d’autres. Essentielle à la préservation des Páramos, cette approche a également un impact non négligeable sur la production de lait (+13% à 25% de lait par vache). Le gouvernement colombien, qui souhaite promouvoir un développement soutenable des territoires, soutient le sylvopastoralisme comme solution de premier plan pour lutter contre la déforestation.
L’année 2022 a été clé pour le développement de l’axe « sylvopastoralisme » du projet. Depuis janvier 2022, plus de 76 hectares de systèmes sylvopastoraux ont été mis en place, pour un total de 22 800 arbres d’essences natives diversifiées, dont l’aulne Aliso. Par la collaboration avec quatre associations laitières et grâce au soutien de la FAO, près de 3000 producteurs laitiers locaux sont d’ores et déjà intéressés par l’opportunité de pérenniser leur activité. De son côté, l’équipe d’Impulso Verde s’est renforcée avec le recrutement d’une zootechnicienne en tant que responsable du modèle sylvopastoral.
Un groupe de travail constitué d’éleveurs - ayant déjà expérimenté le sylvopastoralisme ces dernières années - a été créé afin d’adapter et d’améliorer le modèle initialement proposé grâce à leurs connaissances empiriques. Les discussions portent notamment sur le choix d’essences natives et multi-usages, générant des bénéfices non seulement pour le bétail mais aussi pour le fermier et sa famille, la biodiversité en général et la restauration des paysages.
Grâce au cofinancement du Global Green Growth Institute (GGGI), Impulso Verde a développé un kit de formation à l’élevage durable dans la région des hautes Andes, à destination des éleveurs locaux. Entièrement en accès libre, il sera accompagné de cinq modules de formation théorique et pratique incluant des visites d’exploitations laitières « modèles » établies dans les municipalités de la région.
L’essor d’alternatives économiques
En plus de promouvoir des pratiques agricoles soutenables, le projet vise à accompagner les communautés vers le développement d’activités économiques complémentaires dans le but de freiner leur dépendance au secteur laitier.
L’apiculture communautaire
Avec l’appui financier de Reforest’Action, Impulso Verde développe depuis 2019 une activité apicole dans la région andine de Nariño. Les activités agricoles conventionnelles, responsables de la perte de la biodiversité floristique, ont mis en danger les populations d’abeilles de la zone. Dans l’objectif de préserver ces pollinisateurs indispensables à la survie des Páramos, un réseau de 32 ruchers a vu le jour. Plus de 290 kg de miel ont été récoltés en 2022.
Différentes actions sont menées pour accompagner les agriculteurs novices, dont la dispensation d’un module d’apprentissage de 340 heures en apiculture, la livraison de ruches et du matériel nécessaire tel que des combinaisons et des enfumoirs, la plantation d’espèces mellifères et, enfin, une aide à la production, au marketing et la vente des produits dérivés. Les associations de producteurs génèrent ainsi un revenu supplémentaire grâce à la commercialisation locale de miel, de pollen et d'autres produits apicoles.
Le traitement des plantes médicinales
La culture Pasto se caractérise par une médecine traditionnelle qui s’appuie sur les propriétés naturelles des plantes. Motivés à l’idée de renouer avec ces coutumes ancestrales, les membres des associations concernées sont formés à la macération du Calendula, reconnu pour ses vertus anti-douleurs, et de la Camomille, utilisée pour ses propriétés cicatrisantes. Ce procédé permet de produire des huiles utiles à la fabrication de cosmétiques artisanaux : savons, shampoings, pommades et autres lotions. Ces produits sont ensuite commercialisés sur les marchés locaux par les populations elles-mêmes.
À travers les différents volets du projet, le développement socio-économique pérenne des producteurs locaux est assuré sous le prisme de l'autonomisation, tant sur le plan technique, qu’administratif ou financier.