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La mangrove de Sumatra, un écosystème vital pour la biodiversité et les populations

Sur l’île indonésienne de Sumatra, la mangrove est source de vie, de ressources naturelles et d’activités économiques pour les communautés locales. Menacé par la production industrielle d’huile de palme, l’aquaculture intensive et l’exportation de charbon de bois, cet écosystème forestier situé entre terre et mer tend à disparaître.

Un écosystème forestier unique entre terre et mer

Véritable forêt amphibie, la mangrove est une formation végétale qui recouvre 75% des côtes, des deltas et des estuaires des régions intertropicales. Cet écosystème forestier croît au sein de l’estran, la partie du littoral qui est immergée lors des plus hautes marées et émergée lors des plus basses. Également connu sous le nom de zone de balancement des marées, l’estran constitue un biotope spécifique aux caractéristiques physiques et chimiques relativement uniformes, propices au développement des principaux arbres constitutifs de la mangrove, les palétuviers. Près de cent espèces différentes de palétuviers ont été répertoriées en Amérique, en Afrique et en Asie. Toutes sont dotées de capacités d’adaptation à une salinité élevée, à l’immersion de leurs racines et à la faible oxygénation du sol due à la vase. Ainsi, là où les Rhizophora présentent des tiges qui s’ancrent directement dans la vase, les Ceriops ont au contraire des racines émergentes semblables à des échasses disposées en arceaux qui leur permettent de s’élever au-dessus du niveau de l’eau. Chez les Avicennia, des tiges verticales, nommées pneumatophores, sont dotées de petites fentes qui s'ouvrent à marée basse pour permettre la respiration. Mais la mangrove est un écosystème complexe et diversifié qui croît en symbiose avec d’autres essences végétales que les palétuviers, telles que, à Sumatra, le noni ou le palmier nipa. Ces arbres s’épanouissent dans les mêmes conditions que les palétuviers et enrichissent l’écosystème de mangrove d’une diversité d’essences essentielle à son équilibre.

Multifonctionnelle, la mangrove fournit une grande variété de bénéfices

La mangrove est vitale pour la biodiversité et les communautés locales. Multifonctionnelle par nature, elle fournit de nombreux services écosystémiques, tant sur le plan environnemental que socio-économique.

Grâce à la rapidité de croissance des palétuviers et à l’importance de leur biomasse, la mangrove est un puits de carbone qui peut stocker jusqu'à dix fois plus de CO2 par hectare que les forêts terrestres. Elle séquestre ainsi environ 10% des émissions carbone mondiales, bien qu’elle ne représente que 1% de la surface des forêts tropicales, et contribue directement à l’atténuation du changement climatique.

Véritable niche écologique dont les conditions et les ressources sont absolument nécessaires au maintien des espèces qu’elle abrite, la mangrove est l’habitat de nombreux organismes animaux et végétaux, qu’ils soient terrestres ou sous-marins. Parce qu’elle est un écotone, autrement dit une zone de transition entre deux écosystèmes, elle est particulièrement propice à la création de corridors biologiques, ces milieux qui relient fonctionnellement entre eux différents habitats vitaux pour une espèce. Ainsi, environ 80% des espèces animales marines de l’océan Indien trouvent refuge dans les mangroves au cours d’une étape de leur vie. Les entrelacs racinaires des palétuviers servent autant de frayères (lieux de reproduction) que de pouponnières pour des centaines d’espèces de crevettes, de crustacés et de poissons.

Le système racinaire de la mangrove lui confère également un rôle primordial dans la préservation des sols et des ressources en eau. Grâce à leurs racines, les palétuviers fixent en effet les sols instables dans lesquels ils croissent, et limitent dès lors l’érosion littorale et l’élévation du niveau de la mer. Ils absorbent une partie des débris et des polluants organiques, tels que le phosphore et l’azote, qui sont déversés dans les rivières ou transportés par les courants marins. Ils peuvent même avoir un rôle dans la dépollution des eaux usées domestiques.

Grâce à sa densité, la mangrove constitue un rempart pour protéger les territoires contre les aléas climatiques, et agit ainsi comme une zone tampon en brisant les vagues et en atténuant la puissance des bourrasques. Le 26 décembre 2004, un séisme sous-marin se produit au nord de Sumatra et entraîne un tsunami qui se propage de l’Asie du Sud à l’Afrique de l’Est. Suite à la catastrophe, des études conduites dans le cadre du troisième Symposium sur les zones humides asiatiques ont démontré que les littoraux qui bénéficiaient de barrières naturelles intactes, et notamment de mangroves, avaient été moins impactés par les vagues.

Riche en ressources précieuses et notamment halieutiques, médicinales, forestières, fruitières et mellifères, la mangrove est essentielle aux populations locales ainsi qu’à leurs activités économiques. Elle alimente la pêche et le commerce local, fournit du bois issu de ses arbres morts pour le chauffage et la construction, des fibres et de l’encre pour la création de textiles, des fruits et du miel issu de ses fleurs et même des remèdes médicinaux. La mangrove contribue ainsi aux moyens de subsistance, à la santé et à la sécurité des communautés côtières.

Un macaque crabier juché sur un palétuvier

Utilisation d'un piège à crabes en bambou dans la mangrove

A Sumatra, la mangrove disparaît face à la pression anthropique

Pays du monde le plus touché par la déforestation, l'Indonésie voit sa forêt disparaître deux fois plus vite qu’en Amazonie : l’équivalent de la surface d’un terrain de foot est détruit toutes les six secondes. La mangrove, en particulier, est l’écosystème forestier qui disparaît au rythme le plus alarmant. Si la province de Sumatra du Nord comptait 200 000 hectares de mangroves en 1987, il en reste aujourd’hui moins de la moitié avec seulement 83 000 hectares. Dans la province d’Aceh, la mangrove a en outre été fortement dégradée par le tsunami de 2004. Le changement d’usage des terres et la dégradation forestière sont les principales causes de la disparition de la mangrove à Sumatra. Les forêts de palétuviers tendent à être remplacées par des monocultures de palmiers à huile ou des étangs d’aquaculture intensive, quand elles ne sont pas coupées illégalement pour la production de charbon de bois.

L’huile de palme, cette huile végétale extraite de la pulpe des fruits du palmier à huile, se trouve encore massivement dans les aliments transformés de l’agro-alimentation. Aujourd’hui, environ 85 % de la production mondiale d’huile de palme provient des plantations indonésiennes et malaisiennes. Elle est directement responsable de la déforestation, puisque les plantations de palmiers à huile se font au détriment des écosystèmes forestiers naturels, et notamment, sur les littoraux de Sumatra, des mangroves. Encouragés par les banques qui proposent des assurances plus intéressantes pour les terres agricoles dotées de palmiers à huile, les villageois en plantent de plus en plus sur les littoraux de Sumatra, bien que l’arbre soit inadapté au pH et à la salinité des sols côtiers et ne leur apporte pas de revenus complémentaires. Quant aux compagnies industrielles en recherche de parcelles pour la plantation de palmiers à huile, elles disposent de techniques pour adapter les sols littoraux à cette culture, notamment par la création de canaux d’eau douce en lieu et place des écosystèmes naturels de mangroves.

A Sumatra, les palétuviers sont également abattus pour laisser place à des bassins d’aquaculture intensive, notamment pour l’élevage de crevettes. Ces étangs sont rentables quelques années, puis voient leur productivité décroître et sont abandonnés en l’état. D’autres zones sont alors déforestées un peu plus loin. Directement responsable de la déforestation, cette pratique contribue également à la pollution des nappes phréatiques, rendues inutilisables à cause de l’infiltration de l’eau salée et polluée par les antibiotiques.

La production de charbon de bois issu de la mangrove, principalement à des fins d’exportation vers l’Europe et le Japon, est également à l’origine de coupes illégales au sein de ces écosystèmes pourtant protégés aujourd’hui par le gouvernement indonésien.

Le fruit du palmier à huile

Mangrove déforestée à Cinta Raja, Sumatra

L’engagement de Reforest’Action en Indonésie remonte à 2017. Dans l’objectif de restaurer et étendre la mangrove native de l’île de Sumatra afin d’en protéger les littoraux et de sécuriser les activités économiques liées à celle-ci, un partenariat durable est noué, cette année-là, avec l’ONG locale Yagasu. Depuis l’automne 2021, Reforest’Action étend son spectre d’action en finançant un second projet de restauration de la mangrove à Sumatra, conçu pour durer trois ans et porté par l’ONG Yakopi.